Ceci ne fait aucun doute : nous, Nyctalopes, avons adopté Julien Gravelle, et ses livres de nature writing authentique, chroniqués précédemment dans ces pages. Je suis certain que vous utilisez, comme moi, sur une base régulière l’outil « Rechercher » sur le haut droit de la page d’accueil du blog. Si ce n’est pas le cas jusqu’ici, faites-le donc, pour remonter le fil de cette camaraderie littéraire. C’est par conséquent avec un plaisir non dissimulé que nous accueillons sa dernière publication en France, une version légèrement corrigée dans son détail pour qu’elle soit comestible pour les petits Français, peu farouches avec les anglicismes parfois audacieux, beaucoup plus avec les floraisons lointaines de la langue françoise qui s’échappent de la bouche de Julien Gravelle.

Dans les forêts du Grand Nord canadien, là où la nature somptueuse et écrasante dicte ses lois et façonne les hommes, se trouve la cabane des Malençon. Quatre générations s’y succèdent : l’aïeul Léopold, trappeur sans merci, la construit de ses propres mains ; son fils Siméon y est envoyé pour s’endurcir ; la jeune Lyne, elle, voit sa vie brisée par une découverte macabre ; seule Tania, un siècle plus tard, osera enfin renverser le destin.

Tour à tour refuge, prison ou lieu maudit, la cabane est le coeur battant de cette famille, dont les racines sont profondément enfouies dans la terre des plaines boréales, et qui traîne son lourd secret depuis trop longtemps.

1921. 1944. 1984. 2023. Quatre époques, quatre générations de la famille Malençon, quatre individus de cette famille pour apprendre quelque chose, une leçon de vie, un apprentissage sur eux-mêmes, le dévoilement d’un secret familial, dans la cabane construite par le premier d’entre eux ou à proximité immédiate de celle-ci. Celle-ci est vraiment le totem de ce livre. Bien sûr, sur un siècle de temps, elle va se transformer, s’affaiblir dans sa structure, voir en partie s’effondrer. Mais son « pouvoir » va se maintenir et jouer un rôle décisif à un moment de la vie de Léopold, Siméon, Lyne et Tania.

Les personnages sont différents, tantôt rude comme l’aïeul, tantôt tourmenté comme le fils ou affaiblie comme l’arrière-petite-fille. La nature garde cette permanence : elle ne plaisante pas, elle peut tuer. Mais le bois est là, qui peut donner refuge, apaiser, offrir ses ressources à qui sait les prélever, consoler ou diffuser sa sève. Il faut savoir s’y plonger, s’y brancher. Julien Gravelle sait nous le dire, toujours très justement, sans emphase. C’est l’évidence de ses textes, il est habité par cette contrée boisée et lacustre et au travers de ses histoires et de ses personnages, il met en lumière les rapports entre l’homme et la nature, ce qu’elle nous fait (comment elle agit sur nous) et ce que nous lui faisons (subir) désormais. Il y a un thème qui apparaît-disparaît entre les épinettes, d’une génération à l’autre : l’effet papillon. Couper un arbre, abattre un chien ici et maintenant, sans penser plus loin que ça. Qui sait ce que ce que cela produira plus tard, des années après ? Ce peut être dévastateur ou bien bénéfique. Au final de la belle ouvrage, quatre madriers extirpés d’un même tronc, avec peut-être le petit regret personnel que le texte ne fût un seul et même arbre.

Un écart hors de l’en-dedans sombre des bois précédemment visité par Julien Gravelle mais toujours la vibrante authenticité d’un milieu et des personnages qui le traversent.

Paotrsaout