The Auctioneer
Traduction: Laurent Vannini
A Harlowe, paisible communauté rurale du New Hampshire située à quelques heures de Boston, la vie suit son cours : les gens travaillent la terre, coupent du bois et achètent ce qu’ils ne peuvent produire. John Moore et les siens vivent un peu à l’écart, et, à leur façon simple et rude, ils sont heureux. Jusqu’au jour où un homme sorti de nulle part – mais qui a bourlingué partout -, un commissaire-priseur au charme diabolique, s’allie au shérif pour organiser des enchères publiques afin de renflouer les caisses de la police locale et pouvoir mieux protéger la commune de la violence rampante des grandes villes.
Les habitants sont habilement amenés à donner ce dont ils ne veulent plus, à se séparer de ce qui les encombre, à vider – encore et encore – leur grenier pour la bonne cause. Mais jusqu’à quand ?
Une qualité qu’il faut reconnaître à la maison d’édition Monsieur Toussaint L’Ouverture c’est qu’elle soigne ses publications, en tant qu’objet livre j’entends, et le rendu visuel est si soigné qu’ils nous feraient lire n’importe quoi. Sauf qu’elle ne soigne pas que la forme et que ce qu’elle nous donne à lire n’est de loin pas n’importe quoi. Ce Délivrez-nous du bien ne fait pas exception. Initialement publié en janvier 1976 aux Etats-Unis, ce premier roman de l’autrice Joan Samson fut aussi son dernier, car tragiquement fauchée par un cancer en février de la même année, à 38 ans seulement. Presque un demi siècle plus tard, le voici enfin publié en France.
Alors que la vie suivait son cours comme elle l’a toujours suivie dans la petite ville de Harlowe, un certain Perly Dunsmore fait son apparition. Priseur charismatique, qui présente bien, parle bien et n’ayant aucun mal à convaincre les gens quand il s’adresse à eux, va progressivement manipuler et duper les habitants. Il se fait, en quelque sorte, prêcheur investi d’une mission quasiment messianique. Il annonce un futur radieux pour Harlowe mais pour ce faire, pour entreprendre tous les changements nécessaires, il pousse les gens à se délester des quelques biens qui trainent chez eux pour ensuite les vendre dans des enchères de plus en plus nombreuses. Dans un premier temps, les sommes récoltées servent à développer de façon disproportionnée la police locale. Des adjoints sont nommés les uns après les autres et envoyés chez les particuliers pour les délester de leurs biens, au point de les déposséder entièrement. Etrangement, alors que la police se développe, là où tout était plutôt calme, les incidents se multiplient. La famille Moore, impactée comme beaucoup, perd la grande majorité de ses biens. Mais que se passera-t-il quand Mim et John Moore n’auront plus rien d’autre que leur terre et leur petite fille ? Pourquoi tout le monde se laisse ainsi faire ? Vont-ils perdre leur terre, voire leur petite fille ? Qui est le plus coupable ?
Dans un style d’écriture de facture assez classique mais parfaitement maîtrisé, Joan Samson installe, très lentement mais méticuleusement, toute une atmosphère, un décor, dans lequel la peur se répand telle un poison. Cette peur est le produit, entre autres, d’un capitalisme à outrance et d’un fascisme latent. Une tension rampante mais constante. Bien que cité comme influence par Stephen King pour son livre Bazaar, Délivrez-nous du bien n’est pas un livre horrifique à proprement parler. Il n’y a rien de frontal ici. Le mal s’installe subtilement. On est plus entre le thriller psychologique et le grand roman américain. Si le dénouement tarde à arriver, il est néanmoins fort, mais tout ici réside dans la lente progression des faits.
A l’évidence, Délivrez-nous du bien de Joan Samson est un roman plus que recommandable et dont il y a largement matière à discuter. Nul doute qu’il en fascinera certain(e)s autant qu’il en frustrera. Il y a tout à parier que, si Joan Samson avait eu l’opportunité d’écrire d’autres livres, elle serait aujourd’hui certainement citée parmi les noms incontournables de la littérature américaine.
Brother Jo
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