Chroniques noires et partisanes

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BASTION de Jacky Schwartzmann / Seuil Cadre Noir.

On suit Jacky Schwartzmann depuis longtemps. Et à chaque fois, on est séduit par ses histoires racontant des gens ordinaires dans la France périphérique. Son talent d’observation de ses contemporains lui permet de les mettre dans des situations, étranges, exceptionnelles où il peut les brocarder à l’envi… sans toutefois jamais se départir d’une certaine tendresse, d’une empathie certaine. Jacky Schwartzmann est un vrai gentil et ses romans offrent de vrais moments humoristiques, vous regonflent même parfois. Son honnêteté intellectuelle lui a sûrement dicté d’entrer dans une fiction politique, d’entrer en résistance… Un écart qui peut très vite se transformer en beau gadin s’il n’est pas maitrisé.

Lorsque Jean-Marc Balzan, vieux garçon sans enfant, prend enfin sa retraite, il est persuadé qu’il va se la couler douce. Petits restos, voyages, la liberté, quoi. Mais c’est compter sans Bernard, son plus vieil ami. Ils sont potes à la vie à la mort depuis l’école maternelle. Et ce que Jean-Marc fait de mieux dans la vie, c’est rattraper les conneries de Bernard. Ce dernier est sympa, il peut faire preuve d’intelligence, mais il est aussi capable d’être très con. Aussi, lorsqu’il s’engage dans l’équipe de campagne d’Éric Zemmour pour la présidentielle de 2027, Jean-Marc craint le pire. Soucieux de protéger Bernard, Jean-Marc s’enfonce insidieusement dans la mouvance d’ultradroite lyonnaise.

« Ce roman est dédié à tous les électeurs du parti socialiste. Qu’ils reposent en paix…

La dédicace montre le ton du roman, de l’humour désenchanté pour réveiller des consciences endormies, assoupies. La génération Mitterrand a la gueule de bois. Forcément donc, dès l’entame, le roman peut s’avérer clivant. Pas forcément de la manière la plus dure, l’auteur nous conte la rencontre de ces deux amis avec un groupe d’extrême droite. Forcément, on rit moins qu’autrefois mais l’histoire reste plaisante, teintée d’humour et une certaine scène à Besançon aurait séduit Westlake. Schwartzmann, petit à petit va nous montrer l’envers du décor et on rira nettement moins ou alors un peu jaune. Le ton s’assombrit et on saisit bien que la Bête est implantée partout, dans l’attente. La tragédie est en approche.

Alors, bien sûr, tout le monde n’adhèrera pas forcément. Nul doute que certains passages font un peu discussions du café du commerce (toujours la France périphérique). On s’étonnera qu’on veuille nous expliquer que les groupuscules fachos sont composés de jeunes nazillons plus cons que méchants souvent mais qu’il faut se méfier des vieux friqués dangereux qui les commandent. Lourd certainement aussi d’enfoncer d’autres portes ouvertes en nous rappelant longuement que les chaînes d’info (et pas qu’elles d’ailleurs) balancent de la merde et que ça éclabousse. Mais l’intention est louable.

« On peut rire de tout mais pas avec tout le monde » dit une citation attribuée à Pierre Desproges… Chacun trouvera ou pas son bonheur dans Bastion. Et puis, Jacky, nous aussi on a mal à notre gauche.

Clete.

Du même auteur chez Nyctalopes : KASSO, PENSION COMPLÈTE, DEMAIN C’ EST LOIN .

KASSO de Jacky Schwartzmann / Le seuil.

Lire les romans de Jacky Schwartzmann fait du bien. C’est mon troisième et dès qu’on ouvre une de ses histoires, le sourire gagne vos lèvres. Parfois, le rire est aussi convié et en ces temps bien tristes, c’est une aubaine.

“Après des années d’absence, Jacky Toudic est de retour à Besançon pour s’occuper de sa mère malade d’Alzheimer. Les vieux souvenirs et copains resurgissent. Les vieux travers aussi. En effet Jacky ne gagne pas sa vie comme les honnêtes gens. Son métier : faire Mathieu Kassovitz. Car Jacky est son sosie parfait, et vu que Jacky est escroc, ça fait un bon combo. Depuis des années, se faisant passer pour l’acteur, il monte des arnaques très lucratives. Ce retour au bercail pourrait être l’occasion de se mettre au vert, mais c’est compter sans sa rencontre avec la volcanique Zoé, avocate aux dents longues, qui en a décidé autrement.”

 » Depuis Regarde les hommes tomber, le film d’Audiard, tout le monde me demande si je suis Mathieu Kassovitz. Un jour, j’ai décidé de répondre oui. Et ça m’a ouvert beaucoup de possibilités. »

Jacky Toudic est le clone de Jacky Schwartzmann. Il approche de la cinquantaine et revient sur ses terres natales à Besançon comme l’auteur, si je ne m’abuse. Il est évident que la présentation préliminaire de la cité et des Bisontins ne peut être que l’œuvre d’un natif de la ville sans cela le portrait serait méchant. Mais Jacky Schwartzmann n’est pas méchant, moqueur simplement, brocardant comme à l’accoutumée tout ce qui l’énerve dans la vie et notamment ceux qui se veulent comme les garants du bon goût en matière culturelle. On adhère ou pas mais on ne peut qu’apprécier l’humour qui sauve ces mercuriales.

Jacky Schwartzmann est même un mec bien car s’il nous impose Matthieu Kassowitz, il le fait avec parcimonie et a le bon sens de laisser le plus souvent la légende dans son bureau.

Si on peut regretter que les trois quarts du roman ressemblent vraiment que de très loin à un polar et plus à une quête du temps perdu, le dernier quart ravira les amateurs de polars avec une nouvelle mouture de l’arroseur arrosé pas vraiment originale mais parfaitement réjouissante à la mode Schwartzmann avec des personnages bien sympathiques et parfois hauts en couleurs.

Roboratif!

Clete.

PENSION COMPLÈTE de Jacky Schwartzmann / Le Seuil

Doit-on s’attendre désormais à une livraison annuelle de Jacky Schwartzmann ? Juste un an après le réussi “Demain, c’est loin”, il revient avec un encore plus réjouissant “pension complète”, ersatz voulu de polar mais réel moment de plaisir méchant, de mauvaise foi assumé où se cache une réelle tendresse déjà rencontrée dans le précédent roman.

Dino a quitté sa barre HLM lyonnaise il y a une vingtaine d’années pour le Luxembourg accompagné d’un compagnon d’ infortune avec l’idée géniale et honnête qui devait les rendre riches. Las, un fiasco mais Dino a su gagner le cœur d’une riche héritière locale et depuis vingt ans, il file le parfait amour avec Lucienne de trente deux ans son aînée. Dino un gigolo? Pas pour lui, il clame son amour pour elle comme sa haine de sa belle-mère bientôt âgée de 100 ans qui n’a visiblement pas encore l’intention de casser sa pipe. Dino est un naïf, un candide ou un faux-cul de classe mondiale, vous jugerez. A 45 ans, il est bien malheureux de quitter le Grand-Duché pour quelques temps suite à un pétage de plombs pas bien vu de sa belle et des autorités et il échoue dans ce camping du sud de la France, antichambre, porte de l’enfer des vacances populaires des populations européennes attirées par le soleil. Il rencontre et sympathise avec son voisin de bungalow, un écrivain goncourisé venu chercher l’inspiration et c’est le début de la fin, la fin de la tranquillité puisque les cadavres s’accumulent très vite aux Naïades tandis qu’au Luxembourg son horizon s’assombrit salement.

Il est certain que les amateurs de polars purs et durs ne trouveront pas leur compte dans cette farce sanglante, Jacky Schwartzmann semblant n’utiliser le polar uniquement parce que le Noir sied si bien aux romans sociétaux. Et comme dans “Demain, c’est loin”, l’auteur se plaît à dézinguer sans aucune pitié les travers de ses contemporains qui le gênent ou qui l’énervent avec une mauvaise foi évidente. Les lieux et les gens rencontrés et racontés étant certainement les fruits d’expériences vécues ou observées avec minutie.

On rit beaucoup parce que beaucoup des propos sonnent très juste et que vous trouverez sûrement en lui un excellent messager pour dénoncer nos turpitudes et bien sûr, bien plus risibles, celles de nos semblables. Et qu’importe si la vraisemblance de l’intrigue était partie, elle aussi, en vacances quand il a écrit son pamphlet, le verbe et le rythme tout comme les péripéties sont au zénith d’un soleil méditerranéen estival. Dès les premières pages, les premiers mots, les personnages âgées, les petits enfants, les banquiers, les Luxembourgeois, les chansons de Bashung (???), les bourgeois, les Belges tatoués, la marque des cuvettes de toilettes sur les cuisses des vacancières… tout le monde morfle. Ça cogne dur, à la batte en alu parfois et on en redemande surtout quand il défonce nos têtes de turc, nos souffre-douleur et autres personnes toxiques de notre existence.

Réjouissant.

Wollanup.

DEMAIN C’ EST LOIN de Jacky Schwartzmann / Le Seuil.

« J’avais un nom de juif et une tête d’Arabe mais en fait j’étais normal. » Voici François Feldman, originaire de la cité des Buers à Lyon, plus tout à fait un gars des quartiers mais n’ayant jamais réussi non plus à se faire adopter des Lyonnais de souche, dont il ne partage ni les valeurs ni le compte épargne. Il est entre deux mondes, et ça le rend philosophe. Juliane, elle, c’est sa banquière. BCBG, rigide et totalement dénuée de sens de l’humour, lassée de renflouer le compte de François à coups de prêt. « Entre elle et moi, de sales petites bestioles ne cessaient de se reproduire et de pourrir notre relation, ces sales petites bêtes contre lesquelles nous ne sommes pas tous égaux : les agios. » Mais le rapport de force va s’inverser quand, un soir, François lui sauve la mise, un peu malgré lui, suite à un terrible accident. Et la banquière coincée flanquée du faux rebeu des cités de se retrouver dans une improbable cavale, à fuir à la fois la police et un caïd de banlieue qui a posé un contrat sur leurs têtes. Pour survivre, ils vont devoir laisser leurs préjugés au bord de la route, faire front commun. Et c’est loin d’être gagné. »

Après s’être servi de sa propre expérience professionnelle pour écrire « mauvais coûts », l’an dernier, Jacky Schwartzmann semble s’être encore inspiré de sa propre vie dans ce nouveau roman qu’il situe à Lyon et Villeurbanne qu’il connaît bien, il a bien observé les comportements des habitants, leurs us et coutumes et les montre dans ce roman très speedé.

Basé sur une association criminelle plus « la belle et la bête » que « Bonnie and Clyde », l’intrigue policière est vraiment au second plan d’un roman sociétal mené à un train d’enfer dans un style très imagé et très proche du parler mais qui convient parfaitement aux costards que taille l’auteur tout au long de l’histoire et qui rappelle beaucoup l’excellent « la daronne » de Hannelore Cayre. Les banquiers, les profs, les Français, les Algériens, les jeunes des cités, les fillonistes (mot en voie d’extinction)… chacun à son tour a le droit à ses coups de lattes et nous sont ainsi assénés des vérités bien senties, des rappels salutaires mais aussi quelques commentaires plus discutables, une ou deux diatribes proches des échanges de comptoir du café du commerce en toute fin de soirée. Et tout cela avec une verve réjouissante et souvent franchement hilarante qui fait que même si vous vous sentez « attaqués », l’offense ne tient pas face au ton hautement chambreur de la pique… et vous vous marrez.

Après Antoine Bréa au printemps, la collection « cadre noir » continue sa mue en offrant un nouvel auteur français au discours « politique » et ici pleinement tourné vers la base, vers ces gens-là qu’on n’entend plus et qu’on écoute uniquement quand ils cassent ou qu’ils représentent une menace électorale.

Très sympa.

Wollanup.

Le morceau éponyme de IAM, bande son parfaite du roman.

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