Fin novembre 2016. Plusieurs titres de la presse française se font l’écho de l’issue d’une incroyable cavale, commencée trente ans auparavant : le Français Gilles Bertin se rend aux autorités de son pays. Depuis le printemps 1988, il était en fuite après avoir commis un braquage avec plusieurs complices, tous arrêtés depuis. Alors que le repenti risque 20 ans de prison, le procès de Gilles Bertin en juin 2018 se clôture par une condamnation à 5 ans d’emprisonnement avec sursis, l’avocat général reconnaissant « le bon comportement de l’accusé ». Gilles Bertin revient sur son histoire peu banale et se raconte dans un récit publié en février 2019.
Il est peu de dire que cette histoire m’a, depuis sa révélation, proprement fasciné. Gilles Bertin était un des membres (son bassiste, chanteur et parolier) du groupe punk bordelais Camera Silens, formé en 1981. Comme d’autres formations (citons comme marqueur historique et émotionnel pour l’ado que je fus la compilation Chaos en France vol. 1 avec les Collabos, les Trotskids, Drei oklok, Blank, Decontrol, Komintern sect, Kidnap, Reich orgasm, Sub kids, No class, Foutre et Snix), le groupe Camera Silens hurle la rage et la misère de son temps sur un rythme binaire violent, jouant dans les bars, les squats, les petites salles de concerts. Il rivalise avec une formation bordelaise qui connaîtra un autre destin, Noir Désir, participe à une émission des Enfants du rock puis enregistre un premier album, Réalité, en 1985. Dans leur refus destroy des conventions et d’une vie rangée, Gilles et ses copains errent, squattent, montent sur scène, se défoncent. L’alcool et le shit ne suffisent pas. L’héroïne entre en jeu. Elle prélèvera un lourd tribut. En parallèle à une vie de musicien qui ne le comble pas, Gilles Bertin se tourne vers le vol et le cambriolage pour alimenter sa toxicomanie et refuser le chemin du turbin. Après un séjour en prison pour un délit mineur et la rencontre de comparses déterminés, il décide de viser plus haut. Dans la région toulousaine, ils sont une dizaine (marginaux, artistes, squatteurs, militants d’extrême gauche, anciens membres de l’ETA) à monter le gros coup pendant des mois. Puis le 27 avril 1988, ils passent à l’action et, déguisés en gendarmes, braquent un dépôt de la Brink’s, sans tirer un coup de feu. Le butin : 11 751 316 francs (soit 1,79 million d’euros). Un temps, le braquage est attribué au grand banditisme. Tous les participants seront appréhendés dans les deux ans suivant le braquage, sauf Gilles, qui franchit la frontière espagnole et entre dans la clandestinité, abandonnant parents, compagne et enfant en bas âge. Pour certains, il ne les reverra plus jamais. Une fois passée la folie festive des premiers mois, Gilles comprend qu’il doit s’inventer une nouvelle vie. Il a plusieurs identités, rencontre une nouvelle compagne, espagnole, la musique le passionne, il tient une boutique de disques au Portugal, puis revient en Espagne et travaille dans un café. Un de ces plus terribles combats a commencé : survivre. Le sida, vilain cadeau des années de shooteuse, progresse dans son organisme. Il louvoie avec son identité et sa situation légale, des traitements lui sont fournis qui le maintiennent en vie aux moments les plus désespérés. Pari sur la vie, Gilles Bertin et sa compagne ont un enfant en 2011. En sursis sur le plan physique, sur le plan moral et bien entendu sur le plan judiciaire, Gilles va comprendre qu’il doit se libérer de son passé, il ne veut plus vivre dans le mensonge et remet son destin, à 57 ans, entre les mains de la justice française.
Après les essais, les expos, l’usage banalisé du terme et de l’imagerie, leur pillage éhonté par les marques, le récit de Gilles Bertin redonne une vérité au punk en tant que révolte vécue au plus profond des tripes et à s’en fracasser le crâne. Ici, il n’y a pas d’imposture : accros à la musique, à la défonce, à l’adrénaline, la vie de Gilles Bertin et de ses compagnons des « années dingues » est destinée à finir dans le mur. Pour beaucoup, ce sera d’ailleurs le cas. Pourquoi Gilles Bertin a-t-réussi à aller si loin ? Peut-être la lucidité et l’intelligence de comprendre la gravité de sa situation, de se trouver un autre but et de se construire une autre vie, bien fragile. Le courage d’arrêter la poudre avant qu’il ne soit pas trop tard (et pas complètement). L’heureux hasard d’avoir trouvé l’amour, des amis, des soutiens sur le chemin. Et de la de chance aussi. L’histoire de Gilles Bertin est celle de quelqu’un qui après des mauvais choix doit regagner le statut d’homme et ne plus vivre comme une ombre. Il est en train de le faire, il va réussir. C’est ce qu’on se dit sans doute en refermant les pages de cette extraordinaire aventure, racontée sans fioritures, dans le vif, et saupoudrée par instants d’une ironie aussi piquante qu’une iroquoise.
Le récit de Gilles Bertin est aussi un voyage dans la musique étalé sur trente ans (judicieuse idée que de placer une play-list en fin d’ouvrage). Les titres punk, rock, new wave, techno, grunge jalonnent le parcours de Gilles Bertin, musicien et vendeur de disques, et résonnent à travers les époques et les lieux : les provinces françaises (Bordeaux, Toulouse, Fumel, Orléans), l’Angleterre, l’Espagne. La bande-son est pleine de rage et de folie, de riffs, de beats et de loops. S’y intercalent, entre le B de Buzzcoks et le U de UK Subs, Killing Joke, La Souris Déglinguée, Mudhoney, les Ramones, les Sisters of Mercy et beaucoup d’autres, bien connus puisqu’ils appartiennent à la bande-son de votre propre vie, beaucoup plus banale et beaucoup moins dangereuse, il faut l’avouer.
« Pour la gloire ». « Espoirs déçus ». « Réalité ». Dans ces trois titres chantés il y a 30 ans par Gilles Bertin lui-même, comme les braises de la trajectoire hors norme d’un repenti du « No Future ». Un récit qui lessive proprement tous les certificats de jeunesse rebelle auto-décernés.
Paotrsaout.
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