Sea of Tranquility
Traduction: Gérard de Chergé
Petit à petit, la Canadienne Emily St. John Mandel quitte le polar qui l’a vue éclore pour se diriger vers la SF. Après le superbe post-apocalyptique Station Eleven ( adapté avec succès en série) en 2014, elle replonge dans l’anticipation avec La mer de la tranquillité où elle revisite les voyages dans le temps, une des grandes thématiques du genre.
“Quel est cet étrange phénomène qui semble se produire à diverses époques et toujours de la même façon ? Dans les bois de Caiette, au nord de l’île de Vancouver, des gens entendent une berceuse jouée au violon, accompagnée d’un bruissement évoquant un engin volant qui décolle.
L’expérience est intense mais brève, au point que l’on pourrait croire à une hallucination. En 2401, sur une des colonies lunaires, l’institut du Temps veille à la cohésion temporelle de l’univers. Une brillante physicienne nommée Zoey s’interroge sur des anomalies qui la perturbent. Le monde tel qu’il existe ne serait-il qu’une simulation ?”
Tout comme Boris Quercia avec Les Rêves qui nous restent en 2021 ou Laurent Gaudé dans Chien 51 l’an dernier, eux aussi néophytes du genre, c’est à une SF très grand public que nous convie Emily St. John Mandel. Pas de grandes explorations scientifiques, pas de carcan, juste des cadres établis dont on ne connaît pas l’origine mais dont on se satisfait pleinement tant le propos de l’auteure élève rapidement l’intrigue.
Navigant entre passé et futur, offrant des personnages particulièrement bien brossés et attachants dans leurs imperfections et pour qui l’empathie s’impose d’emblée, Emily St. John Mandel peut désarçonner au départ, malgré la grâce de son écriture. On peut décemment penser que cette première plongée dans le tout début du XXième siècle au Canada, dans les pas d’un jeune aristocrate anglais y découvrant la vraie vie, l’a séduite elle aussi et sa plume a poursuivi et prolongé délicieusement un propos qui n’était pas essentiel pour l’intrigue qui va suivre. Juste du plaisir… une écriture d’une causticité bienveillante avant le premier incident, le premier “bug” du temps.
Il serait vain d’aller plus en avant dans la paraphrase de l’auteure qui nous conte une si belle histoire, toute en finesse et élégance. Il faut se laisser porter, partir très loin avec madame St. John Mandel dont les entrechats et pirouettes littéraires sont parfois enivrantes jusqu’au vertige. Comme dans Station Eleven, la Canadienne montre le pire des mondes. Et une nouvelle fois, elle montre sa foi en l’humanité, allume cette petite lumière d’intelligence humaine qui sauve du néant, de la bestialité et de l’extinction… le théâtre, la littérature et la musique qui nous distinguent et nous sauveront, notre exception…
Certains qualifient ce roman de chef d’œuvre mais ils n’ont pas dû lire Cartographie des nuages de David Mitchell à qui il ressemble sans néanmoins en atteindre tout à fait les sommets. La mer de la tranquillité n’est pas un grand roman mais assurément un très beau roman, d’une intelligence et d’une élégance qui éclairent, qui permettent d’espérer un peu encore, l’oeuvre d’une belle âme sans aucun doute.
Clete
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