Chroniques noires et partisanes

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Entretien avec Anthony Neil Smith / BÊTE NOIRE /Sonatine.

Laurabenedict.com

Anthony Neil Smith est l’auteur d’une trilogie mettant en scène le grand malade Billy Laffitte flic ripou originaire de Louisiane exilé dans le Minnesota. LUNE NOIRE et BÊTE NOIRE sont sortis cette année chez Sonatine donnant beaucoup de plaisir aux amateurs de bons polars ricains survitaminés et sans prétention mais souvent irrésistibles, avec des personnages bien barrés, pas très loin de la série Hap et Leonard de Lansdale. Anthony, que je côtoie depuis le premier roman, a bien voulu répondre à quelques questions. Cet entretien aurait été impossible sans le professionnalisme de Muriel Poletti Arles et de l’ensemble de la maison Sonatine. Merci à eux et bien sûr à l’auteur pour sa célérité, aussi réactif que Billy, quand on l’emmerde.

1-Anthony Neil Smith, you appear this year in the French bookstores’ detective novels shelves, but first of all, who is the man behind the author ?

Anthony Neil Smith, vous faites votre apparition dans les rayons polar des librairies françaises cette année mais, tout d’abord, qui est l’homme derrière l’auteur ?

I’m just a Southern boy who moved up North to teach at a university. I’m a guy who would be afraid of someone like Billy Lafitte in real life. I’ve always loved crime fiction, and always wanted to be a writer. Now I’m in my forties, married with pets, and having a good time.

Je ne suis qu’un garçon du sud qui a déménagé dans le nord pour enseigner à l’université. Je suis un gars qui aurait peur de quelqu’un comme Billy Laffite dans la vraie vie. J’ai toujours aimé les romans policiers, et j’ai toujours voulu être auteur. Maintenant j’ai la quarantaine, je suis marié avec des animaux et je m’amuse.  

2-We discover you with these books dedicated to Billy Laffitte, but you have already written a lot, what is the extent of your work ?

On vous découvre avec cette série consacrée à Billy Laffitte mais vous avez déjà beaucoup écrit par ailleurs, quelle est l’étendue de votre oeuvre?

I’ve published fourteen books in the US so far, most with smaller presses. My first novel, PSYCHOSOMATIC, is what I call gonzo noir, inspired by James Crumley and Chester Himes. But it seems with every book, I’m trying to do something different. I’ve written thrillers, a Nero Wolfe homage, a book about 80’s « hair metal », a book about oil workers, and a couple of novels about a man transitioning into a woman. Add to that a couple of novellas and fifty short stories, and I guess that’s a lot. 

Jusqu’à présent, j’ai publié quatorze livres aux Etats-Unis, la plupart avec moins de presse. Mon premier roman, Psychosomatic, est ce que j’appelle du « gonzo noir », inspiré de James Crumley et Chester Himes. Mais on dirait qu’avec chaque livre, j’essaye de faire quelque chose de différent. J’ai écrit des thrillers, un hommage à Nero Wolfe, un livre à propos du « hair metal » des années 80, un autre sur les travailleurs de l’industrie du pétrole, et quelques romans sur un homme qui devient une femme. Ajoutez à cela quelques courts romans et cinquante nouvelles, et je suppose que c’est beaucoup. 

3-When did this desire to write start ? Was there a triggering factor ?

De quand date cette envie d’écrire, y a-t-il eu un acte déclencheur ?

I first saw a Hardy Boys book when I was in the second grade. It looked dangerous, soI asked the school library if I could read it, because it was over my grade level. She let me, and that was the hook. From there it spiraled out of control. I was drawn to the hardboiled writers first, then more contemporary noir writers. It was reading James Ellroy’s WHITE JAZZ and seeing the movie PULP FICTION in the same year that really lit the fire. 

Quand j’étais en primaire, j’ai vu pour la première fois un livre des Hardy Boys (Frères Hardy). Il avait l’air dangereux et était destiné aux enfants plus âgés : j’ai donc demandé à la bibliothécaire de l’école si je je pouvais le lire. Elle m’a autorisé, et ça a été l’élément déclencheur. À partir de ce moment, la situation est devenue incontrôlable. J’ai d’abord été attiré par les écrivains durs à cuire, puis par des auteurs de noir plus contemporain. C’est en lisant White Jazz de James Ellroy et en voyant Pulp Fiction la même année que le feu a vraiment pris.

4-Just like Laffitte, you come from southern United States and you live in the far north of the country. Billy Laffitte, that is you, isnt’ it ?

En fait, comme Laffitte, vous venez du Sud des Etats Unis et vous vivez très au nord du pays. Billy Laffitte, c’est vous, non?

I can’t say I’m Billy Lafitte, but let’s just say I was just as pissed as Billy my first few months in Minnesota. I wasn’t sure I’d made the right choice, and that’s one reason I wrote YELLOW MEDICINE. I poured all my anger into him, but he was outrageous enough to do something about it. I often think of him as an entertaining guy at the bar, telling ridiculous stories, wich is fine until he asks you for a ride home. At that point, I want as far away from him as possible. A guy like that invites knife fights !

Je ne peux pas affirmer que je suis Billy Laffitte, mais disons que j’étais aussi énervé que lui durant mes premiers mois dans le Minnesota. Je n’étais pas sûr d’avoir fait le bon choix, et c’est une des raisons pour lesquelles j’ai écrit Yellow Medicine. J’ai déversé toute ma colère dans Billy, mais il était assez scandaleux pour en faire quelque chose. Je pense souvent à lui comme le mec divertissant au bar, qui raconte des histoires ridicules, et c’est très bien jusqu’à ce qu’il te demande de le ramener chez lui. À ce moment, je veux m’éloigner le plus possible de lui. Un gars comme lui attire les combats au couteau !

5-Do you have the same nostalgia about your origins as your hero ? Is living in the Minnessota an ordeal ? Are the crazy people we meet in your novels really present in the landscape ?

Avez-vous la même nostalgie pour vos origines que votre héros? Vivre dans le Minnessota est-il une épreuve? Les barjots qu’on rencontre dans vos romans, sont-ils vraiment présents dans le paysage réel ?

I’ll always have Mississippi in my heart – the food, the atmosphere, the accent. But I really consider myself a real Minnesotan now. My wife helped me to learn to love it. I met her during my first year here, and that helped a lot. She showed me all the great things about the state, like Duluth on Lake Superior, the Northwoods, many of the parks. It’s a beautiful place, really. But I’d say the crazy people are more of my invention. They’re here, but I tend to exagerate them. 

J’aurai toujours le Mississippi dans mon cœur – la nourriture, l’atmosphère, l’accent. Mais maintenant je me considère vraiment comme un habitant du Minnesota. Ma femme m’a appris à l’aimer. Je l’ai rencontrée durant la première année que j’ai passée ici, et ça m’a beaucoup aidé. Elle m’a montré tout ce qu’il y a de formidable dans cet État, comme Duluth sur le lac Supérieur, les forêts du nord, plusieurs parcs. C’est vraiment un bel endroit. Mais je dirais que les barjots relèvent plutôt de mon invention. Ils sont bien là, mais j’ai tendance à exagérer leurs descriptions.  

6-From a general point of view, what is it like to live in America in 2019 ? Can an author live off his writings in the USA ?

De manière plus générale, vivre en Amérique en 2019, c’est comment? Un auteur peut-il vivre de ses écrits aux USA?

I wish I coud live off my writings ! But it would take a much better book deal than I have to do that. I love my day job at the university, though. Maybe I’ll write a breakthrough book eventually, but mine always seem to be a bit too crazy. 

J’aimerais pouvoir vivre de mes écrits ! Pour y parvenir, il faudrait un bien meilleur contrat que celui que j’ai. Mais j’adore mon travail de jour à l’université. Peut-être que je vais finir par écrire un livre qui fera une percée, mais mes textes paraissent toujours un peu trop fous. 

America right now is manic. There’s a lot of anger out there, and it’s hard to keep your hopes up. I never expected to be living out absurdism in real life, but here we are.

L’Amérique en ce moment est hystérique. Il y a beaucoup de colère et il est difficile de garder espoir. Je ne m’étais jamais attendu à vivre l’absurdité dans la vie réelle, mais nous y sommes !

7- What would be the perfect soundtrack for Billy’s adventures ?

Quelle serait la B.O. idéale pour les aventures de Billy ?

I actually make Spotify playlists when I write about Billy. There would be some crazy bands : The Legendary Shack Shakers, Southern Culture on the Skids, Nashville Pussy, Rev. Horton Heat, Mastadon, so much noise ! 


En réalité, je fais des playlists Spotify quand j’écris sur Billy. Il y aurait quelques groupes délirants : The Legendary Shack Shakers, Southern Culture on the Skids, Nashville Pussy, Rev. Horton Heat, Mastadon, tellement de bruit !

8-You are a big fan of Stephen Hunter’s work, what seduces you so much about this author, who is not much read in France ? You are a great reader, who are your masters in literature ?

Vous êtes un grand fan de l’oeuvre de Stephen Hunter, qu’est ce qui vous séduit tant chez cet auteur peu lu en France? Vous êtes un grand lecteur, quels sont vos maîtres en littérature?

I see Stephen Hunter and James Lee Burke as two sides of the Southern Crime Lit coin. Burke has the mystery, the atmosphere, and the lyrcial nature, while Stephen Hunter is about the tobacco spit and good ol’ boys. He is a wildman, especially when writing about Earl Swagger, back in the 40’s and 50’s. 

Je vois Stephen Hunter et James Lee Burke comme les deux côtés d’une pièce que serait la littérature policière du sud. Burke a le mystère, l’atmosphère et la nature lyrique, alors que Stephen Hunter s’occupe du tabac à chiquer et des « good ol’ boys ». C’est un homme sauvage, surtout quand il écrit sur Earl Swagger, dans les années 40 et 50.

My masters would be Flannery O’Connor, James Ellroy, James Crumley, James Lee Burke (lots of Jameses), Vicki Hendricks, Chester Himes, Walter Mosley, Don Winslow, Richard Price, and I could probably keep this up all night.

Mes maîtres seraient Flannery O’Connor, James Ellroy, James Crumley, James Lee Burke (beaucoup de James), Vicki Hendricks, Chester Himes, Walter Mosley, Don Winslow, Richard Price, et je pourrais certainement continuer toute la nuit.

Flannery O’Connor


9- When does Billy Laffitte come back to make a mess in France’s bookstores ?

Quand Billy Laffitte revient-il foutre le bazar dans les librairies en France?

Ask Sonatine ! I’m crossing my fingers. But there are two more books in the series. I am not sure if there will be anymore, because I think Billy has run his course. I started a fifth, but it didn’t feel right, probably because I leave him in such a strange place at the end of the fourth. 

Demandez à Sonatine ! Je croise les doigts. Mais il y a deux autres livres dans la série. Je ne sais pas si il y en aura encore après ceux-ci, parce que je pense que Billy a fait son temps. J’ai commencé un cinquième tome, mais je n’étais pas convaincu, probablement parce que je l’ai laissé dans un endroit tellement étrange à la fin du quatrième.

10- And of course, the question I forgot to ask you…

Et bien sûr la question que j’ai oublié de vous poser …

« When will you be in France ? » 

Good question. My wife and I are planning to visit for the first time next October, 2020. We are very excited and look forward to visiting Sonatine and some bookshops.

« Quand venez vous en France ? »

Bonne question. Ma femme et moi projetons d’y aller pour la première fois en octobre 2020. Nous sommes très enthousiastes et avons hâte de rendre visite à Sonatine et à quelques librairies.  

Merci Anthony !

Entretien réalisé par mail les 26 et 27 septembre 2019.

Wollanup.






BÊTE NOIRE d ‘Anthony Neil Smith / Sonatine.

Hogdoggin’

Traduction: Fabrice Pointeau.

“L’agent du FBI Franklin Rome a juré la perte de Billy Lafitte, ex-shérif adjoint dans le Minnesota. À n’importe quel prix. Il est vrai que, pour un homme de loi, l’existence de Billy ressemble à une insulte perpétuelle. Celui-ci a en effet à peu près tous les vices imaginables. Aussi, après quelques tracas avec sa hiérarchie, Billy a-t-il quitté les forces de l’ordre pour entrer dans un groupe de bikers, comme on entre en religion. Là, sous les ordres de l’impitoyable Steel God, il peut enfin mener une existence à peu près tranquille. Mais s’il pense avoir tiré un trait sur son passé, celui-ci le rattrape lorsque l’agent Rome décide de s’en prendre à son ex-femme et à ses enfants.”

Billy Laffite est de retour. On l’avait quitté mal en point à la fin de “Lune noire”, on le retrouve seize mois plus tard au sein d’une bande de bikers avec vingt kilos de plus gagnés grâce à un régime imposé de stéroïdes. Evidemment, il est mieux d’avoir lu le premier volume de la tétralogie mettant en scène cet antihéros du sud bien empêtré dans le Minnesota mais on peut très bien aussi attaquer par celui-ci, loupant quand même quelques scènes bien barjes avec, entre autres, des terroristes un peu “autres”.

Comme dans “Lune noire”, Anthony Neil Smith prend le parti de nous livrer une histoire balançant entre hyper violence, grave bêtise et humour décapant. Par certains aspects, le roman se rapproche de « Mort et vie de Bobby Z de Don Winslow. « Bête noire » est la suite logique du premier mais va plus loin dans l’horreur, dans l’erreur et dans les bouffonneries sans néanmoins se viander dans le grand guignol. Il est certain que si vous n’avez pas goûté le premier, celui-ci n’emportera pas davantage vos suffrages, loin de là. Dans le cas contraire, malgré une fin franchement abrupte, vous devriez aimer cette seconde aventure et cette meute très diversifiée aux trousses d’un Billy plein de bonnes intentions mais se plantant aussi souvent qu’il morfle. Mais il s’en fout de morfler, on s’en prend à sa femme et ses enfants et vraiment il n’aurait pas fallu.

Doué d’une grande aisance à créer des barjes à l’ouest de l’ouest et animés d’une haine particulièrement tenace et féroce, Smith nous gratifie aussi de personnages féminins hauts en couleur ne laissant pas leur part à leurs homologues masculins en matière de comportement irrationnels, stupéfiants et déviants. Du cul à la sauce Smith bien sûr! Même si “parfois”, entre les lignes, on sent, on perçoit un soupçon de tendresse bien planqué, une certaine empathie pour les paumés. Bon, pas dans l’extrait ci-dessous évidemment.

“L’été dans la région trompait tout le monde comme une fille laide bien maquillée. Une fois son visage mis à nu, vous pouviez voir avec quoi vous aviez couché, ce à quoi vous aviez fait des promesses, dans quoi vous aviez planté votre graine, et alors vous étiez coincé.”

Il y a le feu dans le Dakota!

“God damn you, Billy Lafitte”.

Wollanup.


LUNE NOIRE d’ Anthony Neil Smith / Sonatine.

Traduction: Fabrice Pointeau

“ Une vision toute particulière de la justice et de la morale a valu à Billy Lafitte d’être viré de la police du Mississippi. Il végète aujourd’hui comme shérif adjoint dans les plaines sibériennes du Minnesota, avec l’alcool et les filles du coin pour lui tenir compagnie, les laboratoires clandestins de meth pour occuper ses journées. Si Billy franchit toutes les lignes, on peut néanmoins lui reconnaître une chose : il a un grand cœur. Ainsi, lorsqu’une amie lui demande de tirer d’affaire son fiancé, impliqué dans une sale affaire de drogue, c’est bien volontiers qu’il accepte.”

Mais déjà, nous allons trop vite car quand le roman débute, Billy Laffite est interrogé par la Sécurité Intérieure des USA afin d’expliquer les multiples et très variés morts violentes, explosions, incendies, disparitions et autres cataclysmes qui ont jalonné son parcours d’officier de police des trois dernières semaines et dont tous les indices tendent à prouver qu’il en est le seul et unique responsable. De fait, tous ceux qui pourraient l’innocenter ont été flingués, pour les plus chanceux… Billy Lafitte est un pourri mais ce n’est pas un salaud et en voulant aider des gens qu’il aime, il s’est foutu dans une merde effroyable. En fait, chacune de ses initiatives, a contribué à accroître son triste et lamentable bilan des trois semaines passées vers lesquelles nous convie très rapidement Anthony Neil Smith avec un ton parfait pour ce genre de polars de grands fêlés. De Charybde en Scylla, version Minnesota.

On pourrait penser que “Lune noire” (aucun clin d’oeil au roman de Steinbeck) est un énième roman sur la guerre de gangs autour de la meth mais que nenni et Billy le regrette lui même d’ailleurs. L’intrigue est très originale et l’ennemi est pour le moins inédit, très inédit, autrement plus dangereux et déterminé que les laborantins dézingués du bulbe du coin de Yellow Medicine où Lafitte fait sa loi en temps ordinaire. En fait, sans qu’il le sache ou le devine assez tôt, pas mal de monde se fout de la tronche de Billy, l’envoyant à la guerre seul. Mais la rage l’habite et Billy est un chien qui ne lâche rien et qui ne cogite pas vraiment plus qu’un canidé non plus, il faut bien le concéder aussi.

Raconté par la voix de Billy, l’histoire est très speedée, ne laissant pas de temps pour souffler mais dévoilant néanmoins une certaine humanité le rendant finalement… sympathique malgré le machisme, la filouterie, le désespoir, la haine, la rage et on en passe et on en oublie. Dans “Lune noire”, écrit à la fin des années 2000, on voit que le trauma du 11 septembre n’est toujours pas guéri. Se foutant bien de la bienveillance et du discours policé, Anthony Neil Smith, à plusieurs reprises, ne mâche pas ses mots et nul doute que son roman ne peut que déplaire à certaines hordes de barbus adorateurs de Dieu.

“Lune noire”, tout sauf une série B, est le premier volet d’une série et en septembre lui succèdera “Bête noire” annoncé encore plus barje par l’éditeur. Maison spécialisée dans le thriller, Sonatine nous a dégoté un auteur superbement déjanté sans verser dans le grand guignol et un anti-héros impeccable.

100% “Psycho-Billy”.

Wollanup.

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