“Alma vit seule. Elle ne sort plus. Son mari est mort, leur fille a été tuée par un chauffard à l’âge de six ans. Elle se débrouille malgré son grand âge et sa mémoire qui lui échappe. Les jours s’écoulent tout doucement.
Jusqu’à ce qu’elle aperçoive un petit garçon et son chien par la fenêtre. Elle guette leur passage : quelque chose à attendre. Puis son envie de les inviter supplante sa peur du monde extérieur. Le petit garçon finit par entrer et une douce amitié se noue entre ces deux êtres esseulés.
Ces visites quotidiennes stimulent les souvenirs d’Alma : la plage avec sa petite fille, une soirée dansante avec son mari, l’accident qui rendit ce dernier irascible, le mauvais tour qu’elle lui a joué au point de le faire sortir de ses gonds. Leur ultime altercation.”
On avait tant aimé Résine, le premier roman d’Ane Riel, qu’il était absolument impossible de ne pas retourner avec elle au fin fond du Danemark.
On trouvera ici pas mal de similitudes avec le précédent roman dans la thématique mais en beaucoup plus soft: l’isolement, la folie, la peur du dehors et des autres, une tragédie familiale, mais tout cela est traité avec beaucoup de tendresse, de finesse et subtilement éclairé par les facéties d’une très vieille dame indigne.
Un vrai petit bonheur que ce roman qui traite le drame de la vieillesse, le grand âge avec beaucoup de délicatesse, d’empathie, de détails provoquant souvent une grosse émotion mais aussi beaucoup de sourires. Il est difficile de ne pas être conquis par Alma qui, pourtant, a commis le pire comme on l’apprendra peu à peu. Et, malgré tout, on espère quelques lendemains heureux pour elle.
Une histoire noire banale et en même temps horrible, une héroïne touchante à la toute fin de son chemin… un roman très classe dans sa simplicité, sa justesse, sa tendresse.
“Les douze balles dans la peau de Samuel Hawley” de Hannah Tinti, “My Absolute Darling” de Gabriel Tallent, “La place du mort “ de Jordan Harper, les romans noirs traitant des relations père/fille dans des mondes hostiles sont nombreux ces dernières années. Et “Résine” est un autre exemple de réussite dans le genre et sa présence dans cette liste de romans très recommandables n’est pas scandaleuse.
“Une presqu’île, aux confins d’un pays du Nord. C’est là que vit la famille Haarder, dans un isolement total. Jens a hérité de son père la passion des arbres, et surtout du liquide précieux qui coule dans leurs veines – la résine, aux capacités de préservation étonnantes. Alors que le malheur ne cesse de frapper à la porte des Haarder, Jens, obsédé par l’idée de protéger sa famille contre le monde extérieur qui n’est pour lui que danger et hostilité, va peu à peu se barricader, bâtir autour de la maison une véritable forteresse, composée d’un capharnaüm d’objets trouvés ou mis au rebut, et séquestrer sa femme et sa fille. Du fond de la benne où il l’a confinée, Liv observe son père sombrer dans la folie – mais l’amour aveugle qu’elle lui porte va faire d’elle la complice de ses actes de plus en plus barbares, jusqu’au point de non-retour.”
“Résine” est le premier roman d’Ane Riel proposé aux lecteurs français. L’auteure danoise est déjà traduite dans une vingtaine de langues et a souvent été récompensée en Scandinavie. La dame sait écrire et vous accroche d’entrée par un incipit qui vaut son pesant de rollmops et d’aquavit, montrant ainsi une belle aisance à choquer d’emblée le lecteur.
“La chambre blanche était plongée dans l’obscurité quand mon père a tué ma grand-mère. J’étais là. Carl aussi était là, mais ils ne l’ont pas vu. C’était la veille de Noël, au matin. La neige commençait à tomber, mais nous n’aurions pas un vrai Noël blanc”.
Boum, vous prenez cela dans les gencives pour démarrer. Bien sûr, et ce n’est qu’un début, un matricide mais il y a aussi et peut-être surtout le ton de la narratrice. Else, petite fille qui n’a jamais connu que la maison familiale et qui voue à son père une adoration, relate de manière très anodine l’étouffement avec un oreiller de sa grand-mère, exécution dans laquelle elle assiste le bourreau, son père, pour enchaîner sans problème sur la météo.
Liv est la narratrice des deux premiers tiers du roman et sa connaissance du monde se limite à cette petite île et à ce que son père et sa mère veulent bien lui enseigner. En conséquence, les événements sont racontés avec sa logique, avec sa maturité. Son raisonnement, sa conscience arrivent en ligne directe du cerveau dérangé de son père qui tombe dans une méchante folie développant un survivalisme de la pire engeance, soutenu au départ par son épouse, tant qu’elle sera valide…
Prendre le point de vue de la gamine permet à Ane Riel d’installer un climat très oppressant voire malsain à multiples reprises, distillant un écran de fumée sur l’histoire, laissant beaucoup de questions sans réponses, montrant des agissements et des comportements dangereux sans logique apparente. On ne sait pas trop au départ si Liv est déjà aussi aliénée que son père mais très vite, on morfle quand on voit la vie de cette pauvre môme et sans que l’auteure en fasse de trop, on est pris à la gorge, horrifié, triste ou révolté.
On trouvera facilement beaucoup de similitudes entre l’histoire de Liv et celle de Turtle de Tallent si on excepte l’inceste, la même fascination, la même épreuve dans l’horrible monde des survivalistes. C’est dans la dernière partie, beaucoup plus rythmée vers l’Armageddon, qu’un autre narrateur extérieur permettra de mieux comprendre l’enfer vécu par Liv.
On regrettera que l’étude psychologique des personnages ne soit pas plus aboutie malgré un retour vers l’enfance de Jens, âge d’or de la famille, où certaines pages sont fleuries d’une belle poésie qui tranchera avec le chaos final. On peut aussi se dire que l’enfance martyrisée permet de créer de l’émotion plus facilement et c’est bien le vœu, le projet de l’auteure. Néanmoins, il faut reconnaître que Ane Riel mène son roman de main de maître distillant émotion et horreur sans tomber dans le grand-guignol redouté.
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