Chroniques noires et partisanes

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DOLORES OU LE VENTRE DES CHIENS d’Alexandre Civico / Actes Sud

“Je ne suis rien. Je n’ai pas été violée, je n’ai pas été abusée, je n’ai pas eu faim. Vous pensez qu’il faut avoir été violée pour porter le viol, abusée pour ressentir l’abus, avoir eu faim pour être assourdie par le cri des ventres creux ?”

C’est la fin d’une traque. Dolorès Leal Mayor vient d’être appréhendée. Elle est accusée d’avoir assassiné une dizaine d’hommes après les avoir séduits. D’avoir ouvert partout dans le pays une brèche, déclenché une vague de fureur chez les femmes, victimes du capitalisme et de son patriarcat.

Pour tenter de juguler l’épidémie de meurtres, Antoine Petit, jeune psychiatre rongé par une désespérance sourde et aux prises avec l’addiction, est sommé de déclarer Dolorès irresponsable de ses actes. On veut éviter le procès qui entérinerait son statut d’icône.”

On avait beaucoup aimé Atmore Alabama, le précédent roman d’Alexandre Civico chez Actes Sud. Sa signature et une couverture superbe ne pouvaient que nous inciter à retourner dans ses univers sombres. On parle parfois abusivement de noirceur pour une certaine littérature. Ici, sur une échelle de 0 à 10, on atteint allégrement un 11. Pas tant par les horreurs de la geste de Dolores, mais plus par un univers plombant constant, joliment construit par l’auteur.

Si le début et plus particulièrement la fin du roman sont le théâtre de scènes terribles, c’est l’ensemble de l’œuvre qui  hantera le lecteur d’une aura sale. Avec douleur et angoisse, avant les terribles révélations qui nous porteront vers l’abjection, on suit Dolorès dans son chemin de croix carcéral et existentiel. Le mal de vivre d’Antoine le psy paraît alors bien déplacé. A ce dernier on a juste envie de dire d’arrêter un peu la coke pour y voir un peu clair. Il se révélera pourtant vers la fin et montrera que son côté bobo pleurnichard n’était peut-être que façade. Les deux perdront beaucoup dans leur confrontation.

Fable noire contemporaine de lutte contre le patriarcat et le machisme, Dolores et le ventre des chiens atteint parfaitement son objectif. C’est glaçant, éprouvant et une fois de plus la puissance de l’écriture de Civico emporte tout. Un roman fort !

Clete.

ATMORE ALABAMA d’ Alexandre Civico / Actes Sud.

Les romans américains écrits par des Français, on a parfois l’impression qu’ils se déroulent à Besançon ou à Guéret ou que le décor est le fruit d’une recherche google images. Et ce n’est pas le cas de celui-ci. De toute évidence l’auteur s’est bien rendu à Atmore Alabama, petite hémorroïde du trou du cul des USA. Il devait même y être au moment de la fête municipale annuelle du Willam Station Day célébrant la naissance de la pauvre agglomération autour de cette gare.

Le narrateur, qui existe en deux récits, vous verrez… quitte la France pour débarquer dans ce bled. Il est attiré par la prison, ne se découvre que très peu, ne se livrant qu’auprès de trois femmes qu’il rencontre, trois personnes bloquées, dans l’attente d’un autre futur qui n’a aucune chance de se produire dans ce bout d’Amérique pétrifié. L’homme, proche de la cinquantaine, prof, va partager l’existence mortellement ennuyeuse de ces petits blancs, pas mal de rednecks plus cons que dangereux et fiers de leur connerie, tout en se rapprochant de son but.

Alexandre Civico dresse un tableau couleur d’ennui, de morosité, d’attente qu’il souille de l’immense tristesse de ce personnage dont on devine peu à peu les desseins, l’objectif, la mission, la croisade. Toute l’essence d’une existence, gommée, éliminée au profit d’un rendez-vous à Atmore. 

Roman noir impeccable à l’écriture sobre et au rythme servant intelligemment l’intrigue, “Atmore Alabama” est parfait pour découvrir une autre Amérique celle du racisme, de l’immigration, de l’isolement, de l’inactivité et de la connerie dans son apparence la plus commune et la plus vulgaire.

« ils pensent être le peuple. Ils ne sont que la foule »

Wollanup.

PS: sortie le 04/09.


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