Romain Lucazeau est le lauréat du Grand Prix de l’Imaginaire 2017 du meilleur roman francophone, distinction qu’il recevra à Saint Malo le 4 juin prochain à l’occasion du festival « Etonnants Voyageurs » pour son premier roman Latium, sorti fin 2016 chez Lunes d’encre. La nouvelle fera grand bruit au sein du petit monde de la science-fiction française, n’en doutons pas, et mérite que l’on s’y intéresse de plus près. Gilles Dumay, son éditeur, a même été jusqu’à dire « qu’ il est le parfait exemple de la SF que j’ai toujours souhaité publier, qui fait autant rêver que réfléchir (et dont « Dune » m’a toujours semblé être l’archétype insurpassable). ».

Qu’en est-il exactement ? Ouvrons les quelques 449 pages de son premier volet afin de nous faire une idée du phénomène.

Et si Rome était vraiment éternelle ? Qu’elle avait propulsé ses philosophes les plus audacieux au sein des étoiles ? La mystique pythagoricienne et la réminiscence platonicienne chevauchant de conserve des automates intelligents sur les routes galactiques de la sentience et du libre arbitre : telle est la vision lumineuse que Romain Lucazeau souhaite nous faire partager au travers de son diptyque Latium.

Cet ancien normalien de 35 ans, agrégé de philosophie et qui enseigna à Science-Po Paris avant de de devenir consultant, frappe fort dans son premier roman. C’est un coup de maître. Si les aficionados du genre avaient déjà pu préalablement goûter à la saveur antique de ses nouvelles, force est de constater que ce jeune auteur restait pour le grand public nettement méconnu. Cet état de fait n’est plus de mise, les trois coups viennent d’ailleurs de sonner et le rideau se lève sur les étendues glacées du cosmos :

Une Nef, véritable machine de guerre s’étendant sur des dizaines de kilomètres y git inexorablement, quasi-éteinte à elle-même et au monde. Ce colosse de métal est un automate computationnel, un assemblage de programmes plus ou moins complexes organisant et participant à un tout dénommé Plautine. Cette Intelligence pour l’instant endormie s’est mise en quête de l’Homme, dont elle tire son origine. Disparue depuis des millénaires, annihilée après une mystérieuse hécatombe, l’humanité semble avoir en effet bel et bien déserté le cosmos.

Or sans l’homme, point de salut : la privation du créateur incarné rend l’éternité des machines impensable. Elles deviennent folles, amputées qu’elles sont de leur raison d’être, impuissantes à contrôler la menace extérieure. Car les barbares forcent les frontières du bras d’Orion, prêts à fondre sur cet ersatz d’humanité mécanique restant. Les semblables de Plautine en attente de son hypothétique retour se sont d’ailleurs retranchées dans l’Urbs, cité bâtie aux abords du système solaire des origines. L’espoir semble bien maigre, quand surgit soudain un signal des profondeurs de l’espace…

Le décor étant planté, on n’en dira pas plus de l’intrigue et des protagoniste en jeu tant le plaisir de la découverte est grand. Le récit s’annonce gorgé de « sens of wonder » propre à toutes les grandes épopées SF, porté ici au pinacle d’une écriture savante et fluide, ciselée de main d’orfèvre, étourdissante d’envolées conceptuelles mais jamais pompeuse. On pourrait croire dans ce théâtre de machines à une hard SF mâtinée d’allégories métaphysiques assommantes et inaccessibles au néophyte : il n’en est rien !

Il y a en effet une grande poésie sous la plume de Lucazeau, et même un coup de pinceau à la Miyazaki rapprochant l’oeuvre des paysages oniriques et épiques propres à l’enfance. Ainsi la geste homérique des hommes-chiens du proconsul Othon, ou celle plus humble mais non moins touchante du petit robot scarabée Virgil délivrant Plautine de ses propres entrailles de fer et de feu.

Et quel incroyable paradoxe que de voir ces Nefs, demi-dieux mécaniques ayant le pouvoir d’embraser et de réduire à néant des planètes entières, soumises à l’absence de leur primate de créateur !

Un noeud épineux et oedipien propre à cette tragédie spatiale post-humaine que nous propose de démêler Romain Lucazeau, qui aime visiblement Corneille, les monadologies de Leibnitz et le théâtre antique. Cette quête ontologique s’inscrit donc avec brio comme un prolongement des fresques dantesques élevées par les géants de la science-fiction que sont Dan Simmons, Iain M. Banks, Asimov et même K. Dick.

L’aventure nous portera jusqu’au rivage de l’Urbs, à ses intrigues de palais et bien évidemment jusqu’à sa révélation finale, mais il me semble avoir écrit préalablement que je n’en dirai pas plus.

Aux lecteurs qui se sont déjà régalés des deux tomes de Latium, notons que l’excellente nouvelle « De si tendres adieux » est parue dans le Bifrost n°84, faisant écho au trio Béréniké, Antiochus et Titus dans une sorte de préquelle à l’épopée présente.

Aux autres, je ne saurais que trop recommander cette lecture captivante, inaugurant le parcours, on l’espère bien, d’un futur grand de la science-fiction française.

Wangobi