Traduction: Hubert Tézenas.

Jim Sallis est un grand de littérature américaine. Son roman “Drive” a inspiré très librement le film pyrotechnique clinquant de même nom. Son oeuvre est très diversifiée, se situant aux limites du polar, se servant d’une trame policière, noire pour écrire des romans surtout existentiels et explorant la psyché complexe de ses personnages.

Ne vous trompez pas de genre, Sallis utilise bien certaines formes du roman policier mais c’est aussi pour écrire des romans qui, les années passant, s’éloignent de plus en plus du polar pour aller vers un Noir beaucoup plus universel et en même temps très intime. Par le passé, que ce soit avec la brillante série Lew Griffin dans la chaleur de la Nouvelle Orléans ou avec les romans de la série John Turner plantés dans le Tennessee rural dont le décor a dû particulièrement éclairer ce spécialiste de la musique traditionnelle américaine, Sallis met toujours en scène des héros solitaires particulièrement tourmentés et ce sont ces tourments qui entretiennent un suspense souvent terrifiant par leurs non-dits, leurs interrogations, leurs points de suspension. Lire Sallis n’est jamais de tout repos. Les interrogations du héros viennent souvent frapper de plein fouet le lecteur, le plongeant parfois dans un désarroi solidaire. Ces personnages, y compris celui de “Drive” sont finement, expertement dessinés et s’avèrent de grands témoins de la comédie, de la tragédie humaine.

Son dernier roman paru en France en 2013,“Le tueur se meurt” avait obtenu le grand prix de la littérature policière et “Willnot” est dans la même lignée, décrivant la solitude, les solitudes, l’isolement voulu ou subi non plus dans le cadre de la grande ville de Phoenix en Arizona comme en 2013 mais dans l’intimité d’une petite ville ne possédant même pas un Walmart, le temps qui passe…

Et c’est dans ce symbole d’un immobilisme patent et constant de l’ Arizona profond que Sallis commence son roman avec un incipit insidieux, faussement détaché qui vous impose d’entrée, d’emblée ses cauchemars.

“ Nous découvrîmes les cadavres à trois kilomètres de la ville, près de l’ancienne carrière de gravier.”

Le roman est lancé mais pas le thriller que vous pourriez imaginer, la découverte d’un charnier contenant les ossements de plusieurs personnes à la périphérie de la ville n’étant qu’un MacGuffin cher à Hitchcock, propice par son écho dramatique et macabre à développer l’histoire de Lamar Hale, médecin à Willnot, d’effectuer une photographie douloureuse d’une population à l’arrêt, momifiée par le présent, terrifiée par l’avenir, apeurée par l’absence, torturée par les remords, des choix passé non faits.

“Certains conditionnels ont de quoi vous démolir”.

Tout cela contribue à créer un roman, une nouvelle fois, très sombre, à l’intrigue policière fine mais relevée par la réapparition d’un vétéran de la guerre en Irak porté disparu. James Sallis parsème ces péripéties de réflexion sur la littérature et l’écriture citant Dostoïevski, Kierkegaard, Hemingway, “masse et puissance “ d’Elias Canetti et … Westlake tout en revenant abondamment à ses premières amours: la SF. En si peu de pages et même si ce n’est pas un exploit pour lui, c’est du grand art, pessimiste à faire mal mais brillant.

“Ce qu’on vit, poursuivit-il, n’a pas grand chose à voir avec ce qu’on nous serine à longueur de temps, qu’il y a toujours moyen de “s’en sortir”. C’est faux, et quand on veut s’en sortir, on se retrouve face à une gamelle vide”.

Et comme à l’accoutumée, les oiseaux que remarque James Sallis à sa fenêtre quand il écrit,  viennent, fugitivement et éphémèrement, se poser dans le roman.

Remarquable.

Wollanup.