Chroniques noires et partisanes

Étiquette : werner herzog

CHACUN POUR SOI ET DIEU CONTRE TOUS de Werner Herzog / Editions Séguier.

Jeder für sich und Gott gegen alle. Erinnerungen

Traduction: Josie Mély

Est-ce encore nécessaire de présenter Werner Herzog ? Réalisateur allemand aux milles vies, aujourd’hui âgé de 82 ans, on lui doit nombre de films cultes, incontournables même pour les plus méconnus d’entre eux. Il y a bien évidemment Aguirre, la colère de Dieu et Fitzcarraldo, deux films incroyables et mythiques pour leurs tournages complètement fous. Le genre de films que l’on ne pourrait plus tourner aujourd’hui, tout du moins pas dans les conditions de l’époque. Et la liste est longue, très longue. Des fictions et beaucoup de documentaires. Mais il est aussi écrivain (Sur le chemin des glaces, Le Crépuscule du monde…) ou metteur en scène d’opéras (Lohengrin, Tannhäuser…). Il est un artiste entier et un travailleur acharné. 

Si, comme moi, vous êtes un inconditionnel de Werner Herzog, vous avez probablement déjà lu ou écouté quantité d’interviews de lui. Dans ce cas là, et dans ce cas là seulement, ses mémoires intitulés Mémoires – Chacun pour soi et Dieu contre tous, publiées chez Séguier, seront un rappel de pas mal de choses que vous pourriez déjà connaître. Mais la somme de tout cela, toutes ces histoires, ces anecdotes et ces réflexions mises bout à bout, vous réjouiront comme si vous n’en aviez jamais eu connaissance. 

La vie de Werner Herzog est un roman en soi. Si on se régale de ses récits de tournage, et de certaines parties de sa vie, on s’émerveille peut-être plus encore de sa manière bien à lui de nous raconter les autres. Au gré de multiples voyages et projets, il nous narre pléthore de rencontres fascinantes. Des personnalités souvent aussi singulières que lui et sur lesquelles on lirait volontiers des pages et des pages.

Si Werner Herzog a tant vécu, et donc, tant à raconter, c’est avant tout car il a une vision artistique qu’il défend avec pugnacité, ou peut-être plus exactement une vision intellectuelle, qui lui est propre et qu’il n’a cessé, au cours de sa vie, de mettre à l’épreuve. C’est ce qui transparaît au fil des pages. Il est en constante réflexion qui s’accompagne ici de nombreuses références, notamment littéraires. Un puits de connaissances qui semble sans fond.

Fidèle à lui-même, Herzog n’a, une fois encore, pas fait les choses comme les autres. Son livre s’achève en plein milieu d’une phrase. Nul doute qu’il a encore de nombreuses pages de sa vie à écrire, même si âgé de 82 ans aujourd’hui.

Ces mémoires, foisonnants de réflexions et d’anecdotes, sont d’une rare sagacité. Une lecture  passionnante, de bout en bout, et peut-être même la lecture la plus exaltante de cette année 2024. Frustrante tant on en veut plus ! Purement et simplement brillant. Que vous connaissiez Werner Herzog ou non, foncez !

Brother Jo.


LE CRÉPUSCULE DU MONDE de Werner Herzog / Séguier

Das Dämmern der Welt

Traduction : Josie Mély

« Soudain, trouant le silence, une voix me demanda : “Si vous ne souhaitez pas voir l’empereur, qui d’autre pourriez-vous avoir envie de rencontrer au Japon ?” » À cette question, Werner Herzog répondit sans hésiter : « Onoda. » Le nom, à lui seul, a l’apparence d’une énigme. En 1945, lorsque le Japon capitule, Hiroo Onoda est un soldat de l’armée impériale à qui l’on a confié la défense d’une petite île des Philippines. Ignorant la défaite de son pays, retranché dans la jungle, il continuera pendant près de trente ans une guerre imaginaire où les véritables ennemis sont moins les troupes américaines qu’une nature hostile… et ses propres démons. Werner Herzog, qui a consacré ses plus grands films à la folie des hommes, imagine les scènes de ce combat épique et absurde, mené à la frontière indécise du rêve et de la réalité. Jusqu’à un face-à-face vertigineux avec Onoda, qu’il a personnellement connu. 

Certains seraient tentés de dire que le nom du réalisateur Werner Herzog ne déchaine plus autant les passions que par le passé, celui-ci ne réalisant plus de films aussi fous que ses grands succès que furent, par exemple, Aguirre, la colère de Dieu ou Fitzcarraldo. Je ne partage pas cet avis. Si il n’occupe peut être plus autant le devant de la scène, bien que jouissant toujours d’une aura de réalisateur « culte », il reste hyper productif et sa filmographie n’est pas moins enthousiasmante aujourd’hui. Il est de ces artistes sans compromis qui fascinent et forcent le respect.

Une constante dans l’œuvre de Werner Herzog est son intérêt pour les trajectoires de vie singulières. Ainsi, il est tout naturel que la vie du japonais Hiroo Onoda, depuis longtemps entré dans la légende, finisse par faire l’objet d’une œuvre – mais cette fois-ci littéraire – de Herzog. Bien qu’ayant déjà publié des livres, Le crépuscule du monde est son premier roman, ce qui déjà, en soit, me réjouissait d’avance. Le voir s’aventurer sur un nouveau terrain, avec une carrière déjà particulièrement riche, prouve bien qu’il est encore en capacité de nous surprendre. Et puis, il faut dire ce qui est, nous ne sommes jamais à l’abri d’une bonne surprise. 

Peut-être en attendais-je trop ou autre chose, mais je ne peux pas dire que Le crépuscule du monde m’ait marqué outre-mesure. Bien que l’on ne sache pas vraiment où se situe dans ce roman la frontière entre fiction et réalité, l’histoire de Hiroo Onoda telle qu’on la connaît, et telle que nous la raconte Werner Herzog, captive indéniablement. Pour autant, l’écriture assez épurée, à mon sens à l’image d’un scénario comme Herzog a dû en écrire plein, manque de profondeur. Je ne retrouve pas la dimension littéraire et poétique de Herzog que j’avais appréciée dans Sur le chemin des glaces, publié en France en 1980, et qui reste aujourd’hui encore un très beau récit. J’imagine que ça n’était de toute façon pas son objectif. Étant habituellement assez partisan de l’épure, je ne trouve pas la démarche pertinente ou aboutie dans ce roman-ci précisément. J’émets l’hypothèse que la plume de Herzog fait peut être plus sens ici en langue allemande. Les images fortes qu’aurait dû nous laisser cette folle errance dans la jungle, cette guerre d’un seul homme, accompagné de trois soldats qui eux périront au fil des années, ne sont pas aussi marquantes que j’ai pu l’espérer. Cela s’avère un poil insatisfaisant mais la lecture reste fluide et agréable. 

Le crépuscule du monde n’est ni un grand roman, ni un mineur. Il n’est ni bon, ni mauvais. Il se situe dans cette zone un peu frustrante des œuvres qui n’arrivent pas à pleinement convaincre mais sans complètement décevoir non plus. Il me paraît évident que le sujet du livre est pour beaucoup dans l’intérêt que l’on peut lui porter. Peut-être attendais-je une œuvre plus herzogienne que cela ou, peut-être, celle-ci est est-elle si herzogienne que c’est tout simplement moi qui n’en est pas encore saisi pleinement la portée. Pour faire simple, on a là une histoire mémorable pour un roman qui l’est un peu moins.

Brother Jo

© 2024 Nyctalopes

Theme by Anders NorenUp ↑