Traduction: Hélène Fournier

Richmond Fontaine est un bon groupe d’ Alt-country de l’Oregon qui chante depuis plus de vingt ans de belles histoires sur des gens et des territoires américains moins connus, moins bling-bling, beaucoup plus dans la marge ou la majorité silencieuse mais tellement plus authentiques. Richmond Fontaine, commeWilco, Drive by Truckers, voire Moutain Goats dans d’autres zones du pays parlent d’un quotidien qui existe, vraiment vécu par une population américaine plutôt de culture blanche et leur succès dans leur pays prouve qu’ils parlent bien d’une réalité de plus en plus difficile pour tous, la misère n’étant plus uniquement réservée aux autres minorités ethniques.

Willy Vlautin est le chanteur, le guitariste, le compositeur, l’âme de Richmond Fontaine et il a aussi un joli talent pour l’écriture. Il signe ici son troisième roman chez Albin Michel et le très beau « Cheyenne en automne » était sorti chez 13ème note.

Il me semblait important, en préambule, de donner ces quelques infos pour simplement signaler que Willy Vlautin est vraiment un très grand artiste américain bien trop méconnu chez nous parce que ce genre de bouquins, malgré l’extrême noirceur du propos, cela vous réconcilie avec l’humanité.

Leroy n’a pas eu de chance, il s’est bien fait niquer pendant toute sa toute nouvelle vie d’adulte. Il est entré dans la garde nationale pour s’assurer un quotidien un peu moins difficile parce qu’un seul job ne suffit plus pour vivre décemment. Il se retrouve parachuté en Irak où il explose avec son véhicule et revient au pays comme un légume par la faute de la politique extérieure des USA. Il lui faudra de nombreux mois pour arriver à marcher, il ne retrouvera jamais plus la parole et son cerveau semble éteint et donc la grande Amérique l’abandonne dans une espèce de mouroir-HP. Et dans ce premier chapitre d’un roman qui au niveau émotion va bien vous secouer, vous allez connaître une première belle secousse parce que Leroy en état de conscience limité, se réveille avec toute sa lucidité, se rend compte de sa vie déglinguée depuis des années, du caractère irrémédiable de son état, de la perte à jamais de son amour Jeanette et décide de réunir des forces pour se suicider.

C’est Freddie, personnage inoubliable, gardien de l’établissement la nuit et vendeur de peinture le jour qui le découvre. Il cumule deux emplois, pratique de plus en plus courante aux USA, pour rembourser des sommes faramineuses qui ont été nécessaires pour soigner la cadette de ses filles. Il vit, survit plutôt pour payer la pension alimentaire pour ses deux filles parties avec leur mère dans le Nevada.

Seconde à s’occuper ensuite de Leroy, Pauline, l’infirmière a du mal à joindre les deux bouts devant assurer la vie de son père atteint d’une maladie mentale et leur existence à tous les deux le veilleur de nuit et l’infirmière, toute médiocre en apparence, ratée par les infortunes familiales va créer une faisceau de douceur et d’humanité dans le malheur ambiant de cet environnement hospitalier où se concentrent toutes les douleurs et les plaies humaines.

Ce n’est pas un polar, vous l’aurez compris, pas vraiment un roman noir non plus mais c’est tout simplement un grand roman à l’histoire tristement banale ou banalement triste. Il y a du malheur, ce qu’il semble être de la résignation comme dans tous les pays occidentaux quand les populations ont compris que les politiques se foutent de leur gueule. On continue vaille que vaille parce que le surendettement tellement proposé par les banquiers et organismes de prêt fait que vous pouvez vous retrouver à la rue à n’importe quel moment quand les chacals réclament leur dû.

Et dans ce monde qui souffre, chacun de son côté, chacun à sa manière mais tous deux avec la même humanité et la même bonté, Pauline et Freddie, sauvent, soutiennent, maintiennent un espoir pour les autres, faisant ainsi écho à la petite lumière bien ancrée chez eux avec leurs rêves de bonheur simples et pourtant tellement difficiles à approcher.

Ballade pour Leroy n’est absolument pas un mélo. De nombreuses pages sur les rêves délirants de Leroy créent autant de paraboles sur l’exclusion, la marginalisation, la guerre …accentuent un tableau sévère de vies ratées et offrent parfois un cadre très spécial de science fiction initié par les romans que  lit sa mère tous les soirs à un Leroy inconscient. Des passages étranges mêlant délires et informations provenant de la vie rélle autour du pauvre infortuné rendus de manière sûrement extrêmement fidèle et fiable par la traductrice Hélène Fournier dont je connais l’extrême rigueur du travail.

Avec une histoire qui ressemble beaucoup au cinéma sans effets de manche de Jeff Nichols ou à 911 de Shannon Burke, Willy Vlautin réussit un roman très profond, une énorme leçon d’humanité et d’humilité.

Wollanup.