Black Hole
Traduction: Alex Ratcharge

Chuck en est le premier surpris : il a atteint la quarantaine, malgré ses excès et une vie brûlée par tous les bouts. Ancien punk, devenu junkie à plein temps, il survit tant bien que mal dans un San Francisco gentrifié jusqu’à l’os par les cadres de la tech. Il travaille dans une entreprise absurde qui commercialise des baleines miniatures à destination des millionnaires du coin et passe rarement plus d’une heure sans être défoncé. Jamais contre une nouvelle expérience, Chuck essaie une drogue expérimentale qui possèderait un avantage de taille : elle ne s’épuiserait jamais. Quand ses black-out se prolongent et que des morceaux de temps disparaissent, Chuck commence à s’interroger sur les effets secondaires de ce nouveau produit qui se dissémine rapidement chez les drogués de la ville. Un jour, son patron est retrouvé éviscéré après une soirée en sa compagnie. Dealers, addicts, flics partent à ses trousses alors que Chuck entame une course psychédélique contre le temps et ses propres démons.
Comme qui dirait, on ne change pas une équipe qui gagne, me revoilà donc à chroniquer une singulière trouvaille sortie chez Le Gospel. Cette fois-ci il est question d’un certain Bucky Sinister (un nom qui a tout de suite de la gueule), petite figure de l’underground à San Francisco. Un punk comédien (ou un comédien punk ?), auteur de quelques livres. Ancien junkie, c’est spécifiquement ce passif qui a nourri Ta vie dans un trou noir, son roman désormais publié en France.
Autant prévenir tout de suite, si vous êtes étranger à l’univers des drogues, ce livre risque d’être une expérience assez perturbante et inédite. Des premières pages jusqu’à la dernière, ce livre est un trip sous substances durant lequel s’enchaine à toute berzingue des scènes plus folles les unes que les autres. Chuck, personnage principal de cette histoire complètement cintrée, nous fait vivre le quotidien qui dérape d’un addict dans une quête perpétuelle pour trouver l’équilibre parfait entre les différentes substances qu’il consomme. Il est confronté tous les matins à la même problématique : « Il nous faut prendre une décision : reprendre la même chose pour aller mieux et continuer à faire la fête, ou accompagner la descente en prenant un truc qui calme. Un délicat équilibre doit être maintenu. »
Ce quotidien de junkie, dans un San Francisco où les nouveaux produits pullulent à foison, va vite prendre une tournure encore plus folle quand Chuck va se mettre à consommer une drogue relativement chère mais inépuisable, qui transforme les consommateurs en zombies couverts de merde et qui lui fait vivre des épisodes de trous noirs d’une telle intensité qu’il pense voyager dans le temps et nous avec. Ça y est, voilà qu’on flirte avec la science-fiction. A partir de là, le récit n’en devient que plus chaotique, Bucky Sinister se jouant de la cohérence narrative pour nous retourner le cerveau. Les choix de Chuck se faisant de plus en plus hasardeux, nous ne pouvons que nous laisser porter par son modus operandi particulièrement douteux : « En cas de doute, défonce-toi. Si tu ne sais pas trop ce que tu fais, fais-le complètement arraché, et si ça part en vrille, tu pourras toujours blâmer la dope. C’est beaucoup plus facile que de se blâmer soi-même. T’arrives pas à réparer un truc ? Casse-le encore plus. »
Si Bucky Sinister nous embarque dans l’univers de la dope, ce n’est clairement pas pour donner envie au lecteur de consommer. La figure du junkie n’a ici rien de glamour. Mais on rit aussi beaucoup, non seulement de l’imagination particulièrement fertile de l’auteur, mais aussi de sa critique bien cynique de la gentrification qui se mêle à l’épopée psychédélique du narrateur : « Le dimanche matin, c’est l’enfer à Mission. Le quartier est pris d’assaut par les adeptes des brunchs, et si tu n’habites pas ici, t’es loin de pouvoir te représenter la chose. Le brunch, c’est la discothèque de cette décennie. Tous ces gens font la queue pour de bêtes tartines. »
Ta vie dans un trou noir c’est San Francisco Parano. Bucky Sinister a pondu un roman complètement halluciné et dopé à l’humour noir, quelque part entre Philip K. Dick, Hunter S. Thompson et William S. Burroughs. Une satire aussi triste qu’hilarante. Un livre pour le moins addictif, c’est peu de le dire !
Brother Jo.
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