Chroniques noires et partisanes

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CIMETIERE D’ETOILES de Richard Morgiève / Editions Joëlle Losfeld

C’était il y a deux ans exactement : la sortie du Cherokee nous enchantait, positivement, et le blog s’en faisait l’écho. Aussi quand on annonçait un sequel éditorial du roman décoré des Grand prix de Littérature policière 2019 et Prix Mystère de la Critique 2020, il y avait de quoi dérouler une langue gourmande, tel un loup de Tex Avery.

El Paso, Texas, 1963. Huit ans après la disparition du tueur en série appelé le Dindon *, les lieutenants Rollie Fletcher et Will Drake enquêtent sur la mort suspecte d’un Marine. Ce ne sont pas des modèles de vertu mais la vertu n’a jamais résolu une affaire criminelle. La ténacité, si. Plus Fletcher et Drake progressent dans la recherche de la vérité, plus cet absolu leur échappe, plus l’enquête se révèle être une hydre aux multiples visages. La mort à tous les étages: voilà ce qu’ils auront au menu et qu’ils feront passer avec des balles blindées et des amphétamines. Pas de castagnettes mais des poings américains. Comme seule loi, la loi du talion version country : pour un oeil les deux, pour une dent toute la gueule. On remplit les cimetières comme on peut et on ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs. En témoigne cette pluie d’étoiles mortes qui tombe du drapeau américain à la fin du livre.

* Voir Le Cherokee.  

Cimetière d’étoiles fait immédiatement retrouver la verve de Richard Morgiève, son humour noir, son sens de la formule qui claque, dans un registre burné, sans aménité particulière pour les dames, les groupes ethniques, les personnes au physique disgrâcieux… Bref, c’est un peu tout le monde qui dérouille, de façon jubilatoire. La paire de héros flicards, Rollie Fletcher et Will Drake, est gratinée, on ne sait pas s’ils sont plus « dingues que salauds. » L’un est albinos, l’autre saigne du nez. L’un décoche les citations latines, l’autre déclame les passages des Ecritures. Tous deux se défoncent la gueule et massacrent allégrement ceux qui se dressent en travers de leur chemin. 

Ainsi commence un drôle de paso doble transfrontalier, pimenté de sauce et de gnons. On retrouve du polar d’antan, du western, de la parodie historique, on violente les genres autant que les hommes : Jim Thompson, San Antonio, peut-être aussi le sens des digressions d’Un privé à Babylone. Rollie Fletcher et Will Drake se leurrent dans leur enquête et ça ne tourne pas rond dans leur tête. La rumination du passé et les toxiques. La figure du Dindon, le redoutable serial killer, clignote au bord de leur chemin puis s’éteint. Il ne fallait pas l’ignorer et nos deux compères apprendront à le regretter. Le final du roman renoue avec l’haletante traque déployée dans le Cherokee et l’électricité de son récit.

Car auparavant que s’est-il passé ? Je retiens le sentiment de traîner les pieds dans la poussière, dans une certaine confusion. Quand cela démarre-t-il ? Où va-t-on avec ces deux zigues ? Je me suis ennuyé à vrai dire, abîmé par les pouvoirs émollients de la référence, de la citation, de la liste, du gimmick dont l’auteur raffole. D’autres accueilleront avec joie et ravissement ce déchainement inventif, ce foutoir qualifié de génial. C’est un peu triste de ne pas se joindre au bouquet des critiques élogieuses mais aujourd’hui, je ne me sens pas de le faire. 

Paotrsaout

Le CHEROKEE de Richard Morgiève / Editions Joëlle Losfeld

Avec les premiers riffs du morceau choisi comme pastille sonore de cette chronique (et c’est sans doute peu un hasard car Link Wray était d’ascendance non pas Cherokee mais Shawnee comme chacun sait et lui-même, tel que conservé dans l’imaginaire, un genre de rebelle), lançons-nous sur les pistes torves, poussiéreuses et traîtresses tracées par Richard Morgiève dans son dernier roman.

1954. Dans un coin reculé du sud-ouest de l’Etat de l’Utah, le shérif du comté de Garfield, Nick Corey, est une nuit directement témoin de scènes qui ouvrent à la fois une enquête fédérale, d’enjeu national, et une trappe vers le puits noir qu’est son passé. Un chasseur Sabre sans pilote et délesté d’une arme tactique nucléaire atterrit par ses seuls moyens apparemment sur une route déserte. Et il retrouve dans les parages un véhicule, lié à une disparition certainement meurtrière. En quelques heures c’est le branle-bas de combat. L’USAF et le FBI se déploient sur le terrain. Ces hommes et leurs actions ébranlent toute une communauté. En parallèle, les indices se précisent quant à une probable et inquiétante réapparition du tueur en série qui a, par le passé, changé à jamais le destin familial et personnel du shérif Nick Corey. Sur les Hautes Plaines, c’en est fini du purgatoire hors du siècle voulu par Nick Corey. Il doit mener une chasse à l’homme, doublement, et éviter de devenir gibier lui-même tandis que le fragile équilibre moral qu’il était parvenu à trouver se fissure et cède comme une digue sapée et qu’il se retrouve charrié par des flots diaboliques.

Pour respecter toute lectrice et tout lecteur, pour ne gâcher ni la tension ni le dénouement magistralement étirés puis balancés par l’auteur,  il ne sera rien dit de plus des multiples et violents rebondissements que connaîtront les affaires précitées. Poussiéreuses, traîtresses et imbibées de sang et de larmes, les pistes seront. Palpitante pour le palpitant est l’expérience de ce texte.

Nous voilà aussi face à un polar « américain » écrit par un Français. C’est déjà une belle réussite que nous faire sentir que cette construction tient debout même si le vent des montagnes fait grincer le vieux bois ou que le souffle d’une jeune bombe atomique pourrait vaporiser cela aisément. Mais le décor aujourd’hui reconnu comme reconstruit en aride zona andalouse des westerns spaghetti nous empêche-t-il d’en savourer le sel ? Américain il est parce que tout d’abord le contexte et la géographie : les années 1950, la Guerre froide, leur paranoïa obsidionale ( Les Rouges sont des Martiens, ils nous encerclent, et vice-versa) qui gèlent le bon sens jusqu’au fin fond du pays. Fin fond du pays où meurent, viennent à peine de mourir une société, une culture, des bleds et leurs habitants qui remontent à l’époque de la Conquête de l’Ouest. Sous la plume de Richard Morgiève, il y a justement quelque chose d’une époque et des changements qu’elles apportent qui vous arrivent sans jamais que cela ne sonne faux.

Américain ce  roman l’est aussi par ses personnages : dégénérés divers, hommes et femmes à la mentalité de village et à la bigotry (= préjugés) notoire, traversés par un sentiment de religiosité diffus et de culpabilité protestante lacérante. Le péché est une ancre plongée en eaux profondes et le bout est trop court. Nick Corey est en cela emblématique. Il ne lui manque même pas les origines raciales troubles. On se plaît à le découvrir dans l’obstination policière, la compassion malgré tout et l’impossibilité déchirante de s’éviter. C’est un séduisant personnage littéraire, torturé, qui nous en rappelle d’autres, comme le sans doute peu connu Reed Kitchen, le flic de la compagnie ferroviaire, philosophe et bavard, trop bavard – ce qui évidemment lui coûtera cher – de Ligne de Feu du Canadien Trevor Ferguson.

Saluons enfin ce qui ne sera  peut-être pas apprécié par tous, une verve distillée dans les dialogues et les détails. On peut écrire des choses justes, précises ou profondes avec une hilarité qui perce la couenne. Richard Morgiève ne serait pas le seul. Frédéric Dard, Franz Bartelt, JB Pouy (à certains moments, il en a des moins bons,) Luc Baranger ou Michel Embareck par exemple n’oublient pas que ça laisse des traces, pas que salissantes. Dans le parodie de genre qui assoit ce roman – car il s’agit  bien de ça – pour tout américain qu’il veuille se faire passer, ses influences stylistiques françaises des années 1950 et 1960 ne peuvent être ignorées. Mais ce serait réduire la finesse de ce texte qu’on ne cherchera, elle, pas à dater ou rattacher. Elle est, voilà tout, et c’est réjouissant et bon comme du miel de montagne.

« – Il a béquillé sa Harley et a poussé la porte en verre sur laquelle était écrit : « Samuel Meyer, orfèvre ». Une clochette a sonné, ça lui a rappelé Frank Balling. Ça sentait les crêpes, c’était midi passé. L’heure des estomacs vides. Il y avait des éclaboussures de sang sur les murs près de la porte d’entrée. Ça ne datait pas du jour. Un gars avait rencontré du gros calibre, à moins qu’une maman ait accouchée debout.
Un vieux revenant est apparu, pieds nus. Ça devait être Samuel Meyer. Une loupe en sautoir et une putain de pétoire dans les pattes. Les sourcils fournis comme s’il avait des balais-brosses au-dessus des yeux. C’était bien un satané vieux singe que ce vieux-là.
Vous savez ce que c’est mon gars ? a-t-il demandé avec un drôle d’accent en montrant son artillerie.
Un cow-boy juif, ça pouvait véridiquement exister – un cow-boy juif avec des dents en or, sauf une.
Je crois bien, m’sieu, a-t-il répondu. Un fusil Sharps, sûrement le dernier modèe produit.
Et vous savez ce que ça tirait ?
La 50.50 Sharps… De quoi coucher par terre un bon gros bison, remarquez… Y en avait plus déjà.
Juste. Mais y a toujours des bandits de grands chemins… Pas vrai ?
Corey a acquiescé et a tourné la tête vers l’entrée, les murs tachés de sang.
Je m’en suis fait un en 47 et un l’année dernière, a marmonné le vieux singe.  Comme ça mon assurance n’augmente pas… A vous voir, vous êtes dans le droit chemin malgré votre visage pas avenant, si vous me permettez.
Il a posé le fusil sur la banque.
J’ai mal aux pieds, a-t-il confié, je supporte plus les chaussures, même pas les pantoufles. En vérité, je supporte plus de vivre… Qu’est-ce qui vous amène ? J’ai pas grand choix, j’ouvre par-ci par-là… Voyez, je me mets à rêver debout, je rêve à ma vie. Je vois…
Il n’a pas poursuivi.
Vous voyez quoi ? a demandé Corey.
L’Eden, mon gars, j’ai vécu en Eden et je ne le savais pas.
Corey a partagé sa peine. Comprendre trop tard, c’était ça la condition humaine. »

Bandant. Avec un « B » comme bandant. On vous le souhaite comme ça, cet an neuf 2019. Malheureusement, il en reste de longs mois, aussi surprenants.

Paotrsaout.


LES HOMMES de Richard Morgiève / Losfeld.

« C’est surtout l’histoire de Mietek, un individu en déshérence, amoureux d’une femme qui ne peut pas l’aimer. Mietek ne s’en sort pas, s’enlise dans des histoires dont le dénouement risque d’entraver sa liberté. »

Mietek, dans les vingt-cinq ans, dans les années 70, sous Giscard, sort de prison et ne veut surtout pas y retourner. Il replonge dans la voyoucratie de bas-étage, proxénétisme, vol de voitures, petits cambriolages, une criminalité de petite envergure d’une époque artisanale de la délinquance.

«Depuis pas mal de temps, je me disais que c’était fini les hommes, que c’était vraiment une espèce en voie de disparition – ce qu’on appelait les hommes, c’était les derniers singes, quoi. J’ai écrit une cinquantaine de pages – et ils sont venus les hommes de ma jeunesse et ma jeunesse avec. Mais dans toutes les histoires d’hommes, il y a une fille, et même il faut une fille – sans fille, pas d’homme. Et l’autre raison du livre m’est apparue, c’était elle – ma fille, Cora. C’était pas une histoire d’homme que je voulais écrire, pas exactement, c’était une histoire de père et de fille.» Richard Morgiève.

Quand on lit ce petit texte de l’auteur, on comprend qu’on va se glisser dans l’intimité et combien il va creuser dans ses souvenirs, dans son histoire, lui, qui avait l’âge de son héros à cette époque.

Alors, c’est un bouquin extrêmement troublant, qui ne se lit pas comme un polar ordinaire qu’il n’est d’ailleurs pas vraiment même s’il met en scène divers petits malfrats , les pages sur les médiocres affaires de Mietek n’étant pas les plus passionnantes du roman. Chronique d’une époque en train de se terminer, une France qui peine à se libérer de l’héritage de la libération où ceux qui avaient choisi le bon camp pendant la guerre ou juste avant la chute, ont pu obtenir un blanc-seing de l’état pour revenir à leurs magouilles quand ils n’étaient pas directement dans les hautes sphères de la nation. 68 était passé mais les rapports hommes femmes étaient quasiment les mêmes que 30 ans auparavant, les femmes depuis la libération pouvaient voter mais Simone Veil était encore à fignoler cette réforme sur l’avortement qui allait tant faire pour les femmes.

Selon son âge, on ne lira pas cette chronique d’une époque révolue au travers de l’itinéraire d’un voyou de la même manière. Morgiève n’a pas voulu faire un tableau idyllique de son héros. Proxénète à ses heures, il voue une grande admiration pour José Giovanni l’auteur et cinéaste  dont le passé de collaborateur d’abord et de meurtrier ensuite glace un peu l’ambiance. D’autre part, Mietek collabore avec ce qui semble être le SAC ou une autre organisation identique avec ses entrées dans toutes les branches du pouvoir, une police parallèle au service du pouvoir gaullien au départ mais qui par sa présence auprès du pouvoir en place a su faire de belles affaires avec la pègre de l’époque avant d’être dissoute en 82 après deux décennies d’obscures manœuvres. Ces aspects ne nuiront pas à l’image de beau ténébreux à qui ne connait pas ces histoires mais cela peut avoir quelques aspects répulsifs mais Mietek, par manque d’informations, a peut-être mal choisi ses guides… Complexe et imprévisible dans ses rapports avec les gens, animé d’une grande volonté d’assistance aux cabossés de son entourage, amis alcoolos, putes toxicos, vieille femme esseulée, Cora, petite fille en péril… Mietek séduira les lecteurs qui aiment les héros tordus, ambigus et toutes celles et ceux qui trouveront que la balance penche du côté mec bien.

Chacun verra sa vérité de l’histoire dans une France aujourd’hui disparue, verra naître ou pas l’empathie pour Mietek. Par contre, on doit constater le talent de Richard Morgieve pour nous installer dans l’univers et le milieu des malfrats décrits par ses aînés Dard, Simonin ou Le Breton. On n’oublie pas non plus des pages gorgées de tendresse et d’amour, masquées pudiquement, sans dramatisation des effets. Enfin, « les hommes » est un roman qui respire l’authenticité, la sincérité, l’excellence, la belle ouvrage d’un auteur qui se souvient et dont le roman, par son originalité, fait finalement un bien fou.

Authentique.

Wollanup.

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