Chroniques noires et partisanes

Étiquette : Quidam éditeur

EN AVEUGLE de Eugene Marten / Quidam

In the Blind

Traduction : Stéphane Vanderhaeghe

Un homme sorti de prison revient sur les lieux de son passé douloureux, une ville qu’il n’est plus sûr d’avoir connue et où grouille une misère anonyme. En quête d’une deuxième chance, il trouve une chambre dans un quartier mal famé. Le désœuvrement le conduit chez un serrurier d’origine syrienne, qui le prend sous son aile et lui apprend les ficelles du métier. De quoi lui fournir un salaire – et un peu de contact humain. Mais à quel prix retrouver une forme de liberté ? 

Découvert, en France, l’année dernière avec la parution du fascinant Ordure chez Quidam, Eugene Marten roule sa bosse comme écrivain plus de 20 ans outre-atlantique. En aveugle, le deuxième livre que Quidam publie de lui en ce début d’année 2024, est en fait son tout premier roman. Un auteur aussi remarquable que décontenançant et dont l’originalité, à mon sens, fait de lui une voix incontournable de la littérature américaine contemporaine. 

Si vous aviez aimé Ordure, vous apprécierez retrouver la froide et clinique plume de notre auteur. A nouveau, ou déjà (celui-ci ayant été écrit avant Ordure), Eugene Marten est dans l’économie de mots. Des phrases courtes et beaucoup de détails laissés de coté. En tant que lecteur, cela demande un minimum d’imagination pour arriver à se projeter hors champ et tenter de saisir ce qui, contrairement à ce dont on a l’habitude, ne nous est pas dit ici. 

Notre narrateur, qui demeura sans nom, fait son retour dans une ville, elle aussi sans nom, après ce que l’on apprend par bribes au fil des pages, un accident de voiture sous l’emprise de l’alcool qui lui vaudra quelques années de prison. Cet accident, aux conséquences dramatiques, le condamne à porter un bien lourd passé. Ainsi, il arrive là, sans vraiment être là. Un peu éteint et sans véritable but, il entame – et le lecteur avec – une sorte d’errance urbaine. Nous ne savons pas véritablement d’où il vient, n’y où nous sommes, et encore moins où nous allons. Il n’y a pas d’intrigue en tant que tel. Rien à quoi vraiment se raccrocher n’y s’attacher émotionnellement. On suppose, que peut-être, quelque chose finira par se passer. Une sorte de vide qui nous happe.

Ce qui devient notre fil conducteur c’est le boulot que va se trouver notre narrateur. Serrurier. Un univers qu’il découvre complètement et nous avec. Plus il en apprend sur le sujet, plus nous apprenons. Plusieurs passages du livre, particulièrement maitrisés et documentés, sont consacrés à des mécanismes de serrures et de clés. La précision et la méticulosité dont Eugene Marten fait preuve élève véritablement la serrurerie au rang d’art. Bluffant et impressionnant. Ainsi, au fil d’interventions sur le terrain, le narrateur développe ses compétences et reprend, en quelque sorte, la main sur sa vie. Mais derrière chaque serrure, chaque clé, il y a un ou une cliente et l’on apprend vite que toutes les portes ne sont pas bonnes à ouvrir. On espère, et peut-être que notre narrateur aussi, qu’une de ces clés permettra un jour de s’extraire de la misère et la médiocrité dans lequel le monde semble couler. Sauf que la réalité est ce qu’elle est.

« Il faut vivre avec soi-même si on veut vivre par soi-même.

J’avais une baignoire mais pas de douche. Un homme à l’autre bout du couloir a fait une overdose. J’ai mangé la croute d’un bout de pain avant de faire une boule avec la mie. J’ai songé à me raser en me brossant les dents, me suis rasé en songeant à la suite. Sa porte était ouverte quand je suis passé. Il était à genoux sur le sol, en sous-vêtements, visage contre le lit comme s’il s’était endormir en récitant ses prières. Tube en caoutchouc autour du bras. Un flic gribouillait dans un carnet. Plus tard j’ai entendu quelqu’un frapper à sa porte.

J’ai regardé par la fenêtre à l’heure de pointe et j’ai vu deux personnes s’embrasser sur le trottoir. Les gens sinon passaient tous les uns à travers les autres.« 

En aveugle est un roman d’un noir sans emphase, mais véritable et profond. De prime abord impénétrable mais définitivement pénétrant. Un livre passionnant d’un auteur qui mérite toute votre attention. 

Brother Jo.

L’ANTRE de Brian Evenson / Quidam

The Warren

Traduction : Stéphane Vanderhaeghe

L’antre, un lieu sous terre où il se réveille. Dehors, l’air est irrespirable. Pourtant, il va devoir sortir. Sa survie semble être à ce prix. Mais qui est-il ? Est-il aussi seul qu’il le pense ? Et d’où lui viennent les souvenirs qui le hantent ? Le terminal qu’il interroge possède peut-être quelques-unes des réponses aux questions qu’il se pose. Mais le terminal a aussi une question à lui poser : qu’entend-il par ce mot de personne ?

Avec Immobilité chez Rivages, L’Antre est est le deuxième roman de Brian Evenson publié en ce début d’année 2023, mais cette fois-ci chez Quidam. Pas convaincu par le trop inconsistant Immobilité, j’appréhendais un peu la lecture de L’Antre, craignant une nouvelle déception. Les choix de Quidam n’étant généralement pas anodins, je nourrissais néanmoins un petit espoir de vivre une lecture un peu plus originale. 

Tout d’abord, il faut noter qu’il y a une connexion évidente entre Immobilité et L’Antre. Il est intéressant de lire les deux coup sur coup. Dans les deux ouvrages il est question de cryogénisation, d’un personnage principal confus, plein de doutes et en recherche d’identité, ainsi que d’un monde extérieur devenu dangereux pour l’être humain ou autre bipède de cet ordre. Pour autant, L’Antre est plus court (seulement 110 pages) et l’expérience de lecture toute autre. Mais l’un pourrait, dans une certaine mesure, être la suite de l’autre. Ou bien est-ce juste le fruit de mon imagination ? Quoi qu’il en soit, cette novella de Brian Evenson me paraît définitivement plus intéressante, car plus riche et mieux aboutie. 

L’Antre joue avec nos nerfs. Tortueux, voire franchement labyrinthique, la confusion toujours plus intense et chaotique à laquelle est en proie notre héros, gagne également le lecteur tant elle est efficacement mise en forme. On se sent rapidement pris dans une spirale infernale et un poil anxiogène. X perd pied, ne sachant pas ou plus ce qui il est, et ce qu’il est, en constant dialogue avec lui-même et une machine, il perd ses repères et nous avec. Mais qui est X, à la fin ? Schizophrénique ! Il y a de quoi se sentir tout autant piégé que captivé.

Brian Evenson a une complète maîtrise de son texte et l’exercice, somme toute assez habile, est bel et bien concluant. Difficile de rester indifférent. Que vous aimiez ou non la science-fiction, si tant est que vous appréciez les expériences littéraires singulières, pour ne pas dire aliénantes, L’Antre est pour vous. Aussi court soit-il, ce livre n’est ni expéditif, ni incomplet. Il est intelligemment dosé et tient le lecteur en haleine. Contrairement à Immobilité, L’Antre sort du lot et s’impose comme une curiosité notable. Si vous ne craignez pas de secouer un peu votre cerveau, vous pourriez bien être surpris. 

Brother Jo.

L’AUTRE FEMME de Mercedes Rosende / Quidam

Mujer equivocada

Traduction : Marianne Millon

Quadragénaire solitaire et obèse, Úrsula López vit dans le vieux centre de Montevideo. Un soir, un appel téléphonique d’un certain Germán lui réclame une rançon pour libérer… son mari. 

Découvrant son homonymie avec l’épouse d’un riche homme d’affaires récemment enlevé, Úrsula exige une plus forte rançon auprès de celle-ci qui, à son tour, surenchérit et veut la disparition définitive de son époux.

Frustrée, affamée depuis l’enfance par des régimes inopérants, Úrsula se met dès lors à manipuler tout un chacun avec un plaisir machiavélique. 

Quidam a un talent certain pour dénicher des auteurs singuliers, rappelez-vous cette année le Ordure de Eugene Marten déjà chroniqué pour Nyctalopes. Ce roman uruguayen, L’Autre Femme, signé Mercedes Rosende, est à nouveau une bonne surprise qui sort du lot.

De prime abord, je me suis laissé dire que L’Autre Femme allait m’offrir un peu de dépaysement, m’emmener là où je n’ai pas l’habitude d’aller dans mes lectures. La ville de Montevideo, qui sert de décor à l’histoire, ne m’est guère familière. Pour autant, il s’avère au final que le roman aurait pu se passer un peu n’importe où, car ce sont bien ici les personnages, leurs pensées, et les délicieux dialogues qui sortent véritablement de l’ordinaire.

Úrsula López, notre personnage principal, est obèse. Cette obésité régit sa vie. Elle l’isole et la pousse à voir et vivre le monde différemment. Cette particularité physique qui est la sienne, cette différence, nous est donnée à vivre aussi frontalement que subtilement par Mercedes Rosende. On est constamment divisé entre un malaise évident et, néanmoins, l’envie de rire n’est jamais loin.  Úrsula à toujours tendance à mettre les deux pieds dans le plat et est débordante d’imagination.

« Etre grosse ce n’est pas juste être grosse, ce n’est pas être en surpoids et avoir du mal à grimper les escaliers, ce n’est pas la taille qui disparaît ni le double menton, ce n’est même pas la santé en danger, c’est l’humiliation permanente, la colère dissimulée, ce sentiment selon lequel il n’y a pas de pitié et encore moins de justice pour qui est différent. »

En parallèle de la vie d’Úrsula López arrive un fait divers, un homme fortuné est kidnappé par des ravisseurs maladroits et peu convaincants. Bien que noir, le roman de Mercedes Rosende est empreint d’une bonne dose d’humour caustique et absurde à souhait. Ce kidnapping, qui ne se déroule pas comme prévu, n’est pas sans rappeler l’univers des frères Coen. On rit de bon cœur face au comique de certaines situations. La galerie des personnages qui s’offre à nous est un pur régal. Enfin, dès lors que, par le hasard d’une homonymie, l’histoire d’Úrsula López et celle de cet homme kidnappé se retrouvent imbriquées, nos personnages, des « losers » comme on les aime, ne cessent de s’enfoncer dans le pathétique et le ridicule. On se régale ! Qu’il est bon de rire ainsi, pas jaune mais noir, et de bon coeur.

On ne peut que saluer le travail de traduction de Marianne Millon. On se délecte de la plume parfaitement ciselée de Mercedes Rosende et de son impertinence. Les pages défilent bien trop rapidement. L’Autre Femme est un roman simple mais adroit, noir et mordant, aussi pertinent qu’impertinent. Il me paraît improbable que l’on puisse ne pas passer un bon moment à la lecture de celui-ci. Une belle et insolite réussite. 

Brother Jo.

ORDURE de Eugene Marten / Quidam Editeur

Waste

Traduction : Stéphane Vanderhaeghe

“Sloper commence sa journée de travail au moment où s’arrêtent les faiseurs de richesses et redresseurs de torts. Agent d’entretien dans un immeuble, il passe d’étage en étage en poussant son chariot. Il aspire, vide les poubelles, récupère ce qu’il peut. Ni vu ni connu. Avant de rentrer chez sa mère, où il vit à la cave, épiant ses voisines par la fenêtre.

Personnage sans histoire, sans ambition ni qualité, Sloper pourrait continuer à dilapider ainsi son temps dans l’indifférence la plus totale. Or un soir, sa routine est brutalement interrompue par une macabre découverte…”

Ordure est le premier roman publié en France de l’Américain Eugene Marten mais apparemment pas son premier coup d’essai. On doit cette découverte à Quidam éditeur, qui ne manque ni de flair, ni d’audace avec cette publication. Une petite baffe par la taille mais une assez conséquente par l’impact. 

Ne vous fiez ni au titre, ce livre étant tout sauf à bazarder à la poubelle, ni au visuel, Marten ne mettant pas de gants pour ménager ses lecteurs. En revanche, vous pouvez vous fier à votre instinct si celui-ci vous dit qu’il y a déjà là quelque chose de curieux, bizarre ou original. Ordure est un peu tout ça à la fois. Une vraie découverte qui a tout pour surprendre, voire vous donner froid dans le dos, pour le meilleur, comme pour le pire. Enfin surtout pour le pire… Dans sa préface, Brian Evenson dit de ce roman que c’est un livre « dont il faut faire l’expérience », ce qui est parfaitement juste. 

« Sloper » c’est un nom un peu étrange, original on va dire. Celui-ci qui le porte est aussi un peu étrange. Sloper se tient un peu, à sa façon, à l’écart du monde. On pourrait dire qu’il est insignifiant et qu’il mène la vie qui avec. Quand il est chez lui, dans la cave qu’il occupe chez sa mère, il se tient à bonne distance de sa mère, avec qui il communique essentiellement via le vide-ordure, et de ses voisins, qu’il épie. Dans son travail, agent d’entretien au sein d’une équipe dans une tour de bureaux, il s’efface tant bien que mal. Il est curieux mais réservé. Néanmoins, le monde se révèle à lui par bribes, au gré des tâches qu’il accomplit dans son travail. Il y a d’abord les déchets des uns et des autres qui sont un peu le miroir des personnes qui les produisent. Ensuite, on parle de quelques courts échanges avec des employés de bureaux qu’il est amené à croiser, des choses qu’il entend, des monologues qu’on lui impose et quelques rencontres plus fortuites. Toujours distant, inconfortable avec les codes de base de la communication, il est là sans être là mais il est jugé efficace dans son boulot. Un temps durant, on a du mal à savoir qui est le plus étrange de lui ou des personnes avec qui il lui arrive de brièvement interagir. En tant que lecteur, on ne sait pas vraiment où on va mais on garde en tête qu’il y a forcément quelque chose qui va venir perturber ce fragile équilibre. Et c’est peu de le dire. Cette apparente routine finit bien par prendre une tournure très dérangeante.

L’écriture de Eugene Marten est clinique et froide, sans véritable affect. Perturbante diront certains. Il n’y a rien ni personne à aimer dans Ordure. En moins d’une centaine de pages Marten arrive ingénieusement à nous faire basculer dans le sordide, le glauque, le pourri. Qu’est-ce qui est le pire des déchets ou des gens ? On en vient à se poser la question. Mais, au final, que faut-il comprendre ? Est-ce qu’il y a bien quelque chose à comprendre ? Les chapitres sont très fragmentés, décousus, ils donnent à voir sans juger. On contemple l’innommable. Un monstre se révèle sous nos yeux et aucune direction ne nous est donnée. Doit-on détourner le regard ? Désapprouver ? Pourquoi sommes-nous si fascinés ?

Ordure est une œuvre décontenançante et originale. Un livre un peu répugnant mais terriblement obsédant. Tout y est crade. Des effluves nauséabondes s’en dégagent. Ça laisse des traces. Ça remue. Un feel-sick book de premier ordre. Une claque mise avec une main pleine de merde. Que du bonheur ! 

Brother Jo

OYANA d’ Eric Plamandon / Quidam Editeur.

En 2018, nous fûmes nombreux à saluer les qualités de Taqawan, le précédent roman d’Eric Plamondon, entre aventure et polar en territoire amérindien du Canada oriental. Le livre se serait vendu à plus de 10 000 exemplaires, un succès mérité.

C’est avec un texte d’inspiration différente qu’Eric Plamondon revient cette année, une histoire à la fois intime et politique, qui jette un lien entre des rives qui appartiennent aussi à son histoire personnelle, entre le Québec et le Pays Basque.

Le 3 mai 2018, quand l’ETA, l’organisation armée indépendantiste basque, annonce sa dissolution, la vie d’Oyana, installée à Montréal depuis 20 ans, bascule. Les secrets dont elle entoure son parcours lui semblent tout à coup insupportables à prolonger. Oyana, née au Pays Basque, a cru en cette lutte nationale. Jusqu’au jour où elle a voulu s’éloigner de l’organisation. Pour elle, c’était la mort ou l’exil définitif. Un exil terrestre et personnel, en renonçant à être elle-même, en enfouissant ce qu’elle sait dans un puits de silence. Oyana décide de prendre la fuite et de rentrer au Pays Basque. Sans savoir encore jusqu’où les mots la mèneront, elle entame une série de lettres à l’homme de sa vie pour tenter de s’expliquer et qu’il puisse comprendre.

Eric Plamondon a fait le choix d’un mode bipède pour ce texte court. Une partie épistolaire dans laquelle Oyana raconte son passé, l’inexorabilité de l’engagement politique, le sentiment de culpabilité face aux violences déchaînées, le poids devenu insupportable du secret, du non-dit (les phrases sèches d’Eric Plamondon délivrant là une vérité douloureuse). Une partie non-fiction par laquelle Eric Plamondon nous livre des éléments de l’histoire politique du Pays Basque et de sa lutte nationale, des éléments de la culture et de la langue euskal, parfois sous une forme brute (coupure de presse, discours, communiqué). L’effet didactique est agréable et certain mais nous fait regretter parfois l’aspect suturé d’un texte qui parvient toutefois à trouver un regain de tension dans son dénouement.

Une maîtrise de la phrase simple et une volonté sympathique de raconter une histoire et une culture. Mais la baleine franche des Basques n’égale pas le saumon de Taqawan en vivacité.

Paotrsaout


MA VOIX EST UN MENSONGE de Rafael Menjivar Ochoa / Quidam Editeur / Les âmes noires.

Traduction : Thierry Davo.

« Après une carrière dans le feuilleton radiophonique, un comédien se retrouve au chômage. Il est approché par des services spéciaux de la police. Contre une somme importante, on lui demande de reconstituer, à partir de quelques documents, la voix d’un prisonnier politique mort sous la torture et d’endosser le rôle de celui-ci dans une fausse conférence de presse justifiant un meurtre politique… »

On avait fait la connaissance avec Rafael Menjivar Ochoa l’an dernier, déjà chez Quidam, avec « le directeur n’aime pas les cadavres » qui était le premier volet d’une trilogie mexicaine De certaines façons de mourir, qui donnera au final cinq romans dont le fil rouge est l’histoire et l’anéantissement d’une brigade spéciale de la police mexicaine. Ce nouvel opus prend bien en compte cette brigade « très » spéciale à l’œuvre dans une affaire d’élaboration de fausses preuves mais il n’est nullement besoin de lire le précédent roman pour apprécier cette histoire, ce court roman voire cette novella ou à mon goût, un conte macabre.

On est bien dans les terres du Noir avec ce tableau du Mexique apparemment dans les années 60 avec la lutte contre le communisme, la guerilla dans les campagnes, la police corrompue et la misère qui pousse les gens à des extrémités: « la fin faim justifie les moyens ». Et c’est précisément, un deal très alléchant proposé alors qu’il est dans une situation très précaire pour quelques mois qui tente notre comédien, grande voix de méchant des feuilletons radiophoniques. Celui-ci a bien conscience qu’ en contrepartie de tant de thune, on va lui demander de faire un truc bien pourri mais il tente le coup avec cette police secrète, si secrète qu’il commence à douter de son authenticité, de son combat juste pour le Mexique.

Citée dans le roman, la chanson de Javier Solis « payaso » c’est à dire « clown », donne très justement le ton du roman mais on n’est pas dans une farce, une comédie car la liberté, la vie de personnes est en jeu. Cette allusion aux clowns montre bien le masque que portent tous les personnages de cette histoire ; Le roman évolue dans un climat très incertain, qui est vraiment celui qu’il prétend être, les personnes évoquées existent- elles vraiment ou sont-elles créées de toutes pièces comme les preuves qu’on lui demande de fournir pour condamner des individus peut-être bien innocents.

Sans être totalement obscur car le style assez léger contrebalance avec la noirceur de l’histoire, le propos devient rapidement  kafkaïen et offre, malgré le caractère bref de l’œuvre, un suspense assez dérangeant tout en montrant le côté obscur de la justice, de la presse et du secteur économique dans un Mexique corrompu mais néanmoins moins gangrené que maintenant. Une lecture complète de la trilogie permettra aussi certainement de mieux comprendre les intentions de l’auteur.

Solide.

Wollanup.

 

LE DIRECTEUR N’ AIME PAS LES CADAVRES de Rafael Menjivar Ochoa/ Quidam éditeur

Traduction : Thierry Davo (Salvador)

Le roman noir dans ses largeurs « ramassées » a pour cadre le Mexique avec tout ce qu’il véhicule. La thèse symbolique du contraste des genres, des oppositions de sentiments, que ce pays offre est un véritable creuset brut des bases de ce genre littéraire. Se succèdent malgré tout un humour sous jacent et grinçant, une âpreté scarifiante aux confins des contours de cette nation où s’agrègent les poncifs de corruption, de justice expéditive, de délitement inéluctable d’une démocratie républicaine fantoche. Entrer dans « Le Directeur n’aime pas les cadavres » c’est s’exposer à un récit sans concessions, sans apprêts, sans introduction discursive, sans mise en garde  et de filer, avec brutalité et sans déviation, vers l’essence des maux d’une exsangue nation cherchant pourtant à délimiter une approximative morale…

« Depuis qu’il a vu la dépouille de sa mère, le Vieux, directeur d’un grand quotidien proche du parti au pouvoir, ne supporte plus la vue des cadavres. Cadavres dont son fils est devenu, par défi et après de pseudo études de médecine, la doublure au cinéma. Le Vieux est mal en point. Il a beau tirer les ficelles, il a de gros ennuis, pris en tenaille dans la guerre implacable que se livrent les tueurs d’Ortega et du Colonel. Et avec la folie auto-destructrice de Milady, sa deuxième femme, il risque d’affronter bientôt un cadavre de plus… »

L’auteur né en 1959, en exil durant la guerre civile au Salvador, journaliste au Mexique retourne dans son pays en 1999. Il a publié une vingtaine d’ouvrages traduits et étudiés aux Etats-Unis.

Cet ouvrage appartient à la « trilogie mexicaine »,  De certaines façons de mourir, donnant au bout du compte cinq romans dont le fil directeur est l’histoire et l’anéantissement d’une brigade spéciale de la police mexicaine.

Ce récit est peuplé de personnages incarnés dans leur dimension romanesque mais aussi dans leur faculté à créer une tension et une réflexion de manière plus globale. Le vieux, patriarche et métronome d’un groupe proche du pouvoir, impose des règles et un cadre de vie rigide, inflexible entouré en permanence d’un bataillon de gardes du corps. Son fils suit ce cadre depuis l’enfance en joue, s’en éloigne, y revient et son sentiment profond envers son géniteur reste marqué par une ambivalence contrastée. Milady, la dernière compagne en date du Vieux assène au récit sa part de déséquilibre, sa part d’esprit torturé en présentant des facettes psychopathologiques lestées d’un passé tortueux. Ce trident trace un récit épais, sec, nous envoyant des images sombres d’un état coloré.

Du vitriol au pays du Mezcal où le lombric est dans la démocratie !

Chouchou.

 

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