Chroniques noires et partisanes

Étiquette : philip gray

LA MAISON AUX NEUF SERRURES de Philip Gray / Sonatine.

The House with Nine Locks

Traduction : Élodie Leplat

«Le mort avait été évacué. La seule chose encore vivante dans le squelette carbonisé de l’entrepôt était un chat tigré aux yeux jaunes démoniaques.»

Roman étrange. Sensation de bric à brac : Des bribes de conte d’enfant, des bouts de roman à l’eau de rose, de bonnes pages de vrai polar bien noir…des fanfreluches rocambolesques, des machins élastiques mais finalement bien ficelés pour un ensemble, au bout du compte, cohérent…

Adélaïs a 11 ans au début de l’histoire, elle a une jambe déformée par la polio et un oncle énigmatique, Cornelis, en qui elle a confiance (c’est bien la seule !). Il va lui offrir un drôle de vélo qui se manœuvre à la force des bras. Au cours de ses périples, elle va sauver de la noyade Sébastien…C’est autour de lui que se jouera plus tard la romance, mais passons…

Les choses deviennent intéressantes (c’est dommage car on déjà lu un bon tiers du livre ! mais à partir de là, on ne va plus le lâcher) quand Adélaïs, qui a maintenant 20 ans, hérite de son oncle une maison mystérieuse à Gand.

« À Gand ? – À Patershol, exactement. »
« Patershol : un vieux quartier délabré sur une berge étroite de la Lys. Sa mère lui avait toujours recommandé de ne pas s’en approcher, surtout la nuit. »

Neuf clés, des verrous, des pièces sombres qui s’ouvrent les unes après les autres révélant des choses insolites, interdites.

Elle va en effet y trouver fournitures, machines et modes d’emploi (fort bien documentés) pour fabriquer des faux billets de 500 francs (belges). Avec son amie Saskia, et avec art, elle va s’en donner à cœur joie et, sans scrupules, trouvera rapidement comment accéder à la haute société (je veux dire celle du monde des jeux, des lustres clinquants et du champagne).

Le commandant De Smet, « comme une araignée pâle et exsangue qui, immobile dans un coin de sa toile, attendait le frémissement qui lui indiquerait le moment où frapper.» va poursuivre son travail minutieux, tendre ses fils entre ses punaises :

«Une grande carte de la Belgique recouvrait presque tout un mur. Il y avait désormais des punaises noires sur 153 lieux différents. Chacune correspondait à la découverte, au cours des quatre années qui venaient de s’écouler, de faux billets de 500 francs du genre de ceux qui avaient fait leur première apparition à Tournai. À chaque punaise était attachée une petite étiquette en papier qui portait un numéro de référence soigneusement noté par De Smet.»

Du mystère. Du suspens. Des révélations de secrets de famille. Des rebondissements…

Dans le premier roman de Philip Gray, Comme si nous étions des fantômes , Amy, une jeune femme intrépide, pas toujours très lucide, «faisant abstraction du raisonnable  » mais tenace, ressemble Adelaïs. Des femmes libres, en milieu de 20ème siècle, qui bravent l’autorité militaire des champs de bataille ou la société bien-pensante belge.
Ce second roman me semble plus mat que le précédent, plus brumeux. Mais ce sont peut-être les brumes de la Lys et de l’Escaut qui infligent au tableau cet univers sombre et chaotique comme ceux du peintre De Smet (Gand, 1877-1943)  homonyme de « notre » commandant pointilleux et vivant lui aussi « sur une berge étroite de la Lys » ???

Soaz.

COMME SI NOUS ÉTIONS DES FANTÔMES de Philip GRAY / Sonatine

Two Storm Wood

Traduction: Elodie Leplat

Philip Gray a étudié l’histoire à l’université de Cambridge puis travaillé comme journaliste à Madrid, Rome, Lisbonne. Comme si nous étions des fantômes est son premier roman, inspiré de l’expérience de son grand-père, combattant britannique de la Première Guerre Mondiale.

Trois mois après la fin de la Première Guerre mondiale, une jeune Anglaise, Amy Vaneck, arrive à Amiens afin d’en apprendre davantage sur l’homme qu’elle aime, Edward Haslam, porté disparu dans les tranchées. Les champs de bataille de la Somme sont désormais silencieux. Ne restent sur place que quelques hommes qui se livrent à la tâche difficile de rassembler les dépouilles et d’essayer de les identifier. Parmi eux, le capitaine Mackenzie, qui se propose d’aider Amy. Mais lorsqu’on retrouve treize cadavres dissimulés dans un tunnel au fond d’une tranchée, celle où Edward a été vu pour la dernière fois, tout change. D’autant plus qu’il apparaît bien vite que leur mort n’a rien à voir avec les combats, ni avec l’armée allemande.

Que s’est-il réellement passé à Two Storm Wood, cette position du front de la Somme prise et reprise dans les dernières semaines de la Grande Guerre ? Au printemps 1919, la région dévastée est lugubre à souhait, elle pue littéralement la mort. Philip Gray ne manque pas d’inspiration pour évoquer ce décor, brouillardeux, propice à faire renaître l’illusion d’un fracas et d’une boucherie sans précédent. La boue, les ruines, des corbeaux, des coups de pioche et la rumeur d’hommes – militaires volontaires ou travailleurs forcés – qui besognent et déblaient ce qu’ils peuvent dans une tâche bien trop vaste pour eux, engagés dans une course contre la montre, avant que la pourriture, l’oubli, l’urgence d’explorer d’autres sections du front n’effacent la possibilité de donner une sépulture digne de ce nom à des soldats fauchés par la mitraille plusieurs mois auparavant.

Dans ce contexte, Amy Vaneck, jeune femme de bonne famille, se doit d’éclaircir la disparition de son amant. Ses sentiments, sa conscience l’y obligent. C’est aussi par sa faute qu’Edward Haslam s’est engagé, leur mariage semblait impossible à ses parents qui tenaient en faible estime le jeune homme orphelin et sans situation honorable. Mais au front, Edward s’est retrouvé sous la houlette d’un officier charismatique, aux méthodes atypiques mais efficaces dans leur finalité : faire saigner l’ennemi. Pour Edward comme pour son supérieur, les choses ne seraient pas bien terminées : une disparition, une blessure grave. A proximité immédiate, un horrible crime collectif a été commis. Les cadavres viennent d’être exhumés.

L’enquête d’Amy paraît au départ impossible. Femme, elle est perçue comme tout à fait déplacée, à cet endroit, à cette époque. Les civils français même ne reviennent que lentement. Presque plus rien ne tient debout. Et ceux qui sont là ne vivotent que dans la vente de vivres et de plaisirs aux soldats ou aux coolies chinois. Par chance, l’officier McKenzie va la prendre sous son aile et le mystérieux prévôt Westbrook, ancien inspecteur dans la police, l’accompagner dans sa quête. Des anciens compagnons d’armes d’Edward sont encore sur le terrain. Amy pourrait apprendre d’autres détails sur sa disparition. Par l’usage de flashbacks et de rebondissements contemporains, Philip Gray avance vers le point zéro de son thriller, affichant une parfaite maîtrise du suspens jusqu’aux toutes dernières pages de son roman. Son parcours est richement documenté sur les blessures de guerre, les troubles psychologiques et post-traumatiques des soldats, les questions raciales et sociales de l’époque mais menace à quelques occasions de s’égarer dans le boyau d’une intrigue secondaire ou de s’ensevelir dans une casemate.

Une reconstitution d’époque d’une grande authenticité et un thriller historique de belle facture qui aurait mérité de légères retailles.

Paotrsaout

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