Avec cette chronique BD / roman graphique, le blog Nyctalopes affirme désormais son intention d’ouvrir ses colonnes à des productions éditoriales propres au 9e art mais liées aux univers qui lui sont particulièrement chers : le noir, avant tout, le criminel, bien sûr, mais aussi, à touches plus discrètes et néanmoins régulières, l’Americana, la SF au sens large, le rock… Pourquoi ? D’abord parce qu’il s’y passe des choses diablement intéressantes et ce, depuis un bon moment. Pourquoi l’ignorer ? Ensuite parce qu’il nous plaît d’élargir notre regard, peut-être le vôtre ou celui de nouveaux visiteurs à l’avenir. Alors bienvenue dans cette première chronique signée Little Bic Man, qui n’est pas un pied-tendre ici (NDLR : je suis aussi Paotrsaout et je dispose encore d’une réserve d’encre noire et visqueuse).

Zhang Xiaoyu est né en 1975 à Anshun, dans la province du Guizhou, en Chine. Il vit actuellement à Chengdu, dans le Sichuan. En 1995, il sort diplômé de l’École supérieure des Beaux-Arts du Guizhou mais a commencé sa première BD pendant ses études. De 1997 à 2005, il fut rédacteur en chef ou responsable de plusieurs magazines spécialisés. À partir de 2007, il devient dessinateur indépendant. De 1999 à 2008, il a été lauréat de divers prix BD chinois. Il a aujourd’hui à son actif plus de 20 albums (Le clown, Au fond du rêve, Sombre futur… pour ses adaptations françaises), certaines par la maison d’édition iséroise Mosquito.

Chine, 1937. L’empire du Japon attaque son voisin continental et envahit la partie orientale de son territoire. Les Japonais bombardent militaires et civils. Dans le pays, très affaibli, c’est le chaos. L’ingénieur Fan et sa femme Mingfeng, une actrice d’opéra traditionnel, très populaire, traversent le fleuve Yangtsé, lorsqu’un obus japonais envoie leur bateau par le fond. Fan survit au naufrage. Effondré par la perte de son épouse, il décide d’utiliser toutes ses connaissances techniques pour la ramener à la vie sous la forme d’un automate. Il intègre une troupe d’opéra itinérante et anime le double de Mingfeng depuis les coulisses. Dans la ville où la troupe se produit, sévissent des bandes de gamins livrés à eux-mêmes, qui trafiquent avec les aviateurs américains postés non loin de là. Un des enfants va se rapprocher de Fan qui lui confie son secret tandis que le potentat local intrigue pour passer une nuit avec la belle actrice qu’il ne sait pas factice…

Il faut se féliciter d’avoir un auteur ancré dans son sujet, qui a donc contextualisé son histoire. Elle nous en apprend. La guerre est en Chine, en 1937. Le front est loin dans cette histoire mais fluide selon la conception raciste des guerriers japonais, engagés dans une action totale. Les civils sont une cible, n’importe où. Ce n’est pas évoqué ici mais 1937 c’est aussi l’année des massacres dans la ville de Nankin… La Chine est malade depuis des décennies. Les puissances occidentales n’en ont-elles pas profité aussi les décennies auparavant ? Dans les satrapies émiettées d’une pourtant république règne le désordre, nourri par la pauvreté. Ces bandes de délinquants orphelins en sont la preuve. Morveux, ils chapardent et trafiquent. Plus âgés, ils assassinent et trafiquent… L’auteur nous en donne un échantillon pittoresque, prêt à tout pour bouffer, bellement incarné également par leur effronterie et la verdeur exotique de leur langage. Plus familière, au moins dans le fantasme, est la Chine des adultes, entre débrouille, corruption et persistances millénaires. On y apprend également la présence de pilotes de guerre américains, appréciés de la population pour leur participation à la défense de leur pays, mettant à mal l’idée d’une Amérique isolationniste en ces années 1930 et 1940 (jusqu’à ce que Pearl Harbor bouleverse vraiment tout). Sur le terrain, certains Américains en profitent pour mener des activités banalement humaines et lucratives dans un tel contexte : le marché noir. Au final, l’histoire propose une variété de personnages et se trouve à la croisée de plusieurs genres : reconstitution historique très vivante, aventure, fantastique de veine classique…

Puisqu’il sera fréquent d’aborder cet aspect, le découpage scénaristique est très « cinématographique », multipliant les plans rapprochés, moyens, d’ensemble pour un résultat hautement dynamique, favorable à la mise en valeur de l’action. Et pour parfaire l’ensemble – ce qui n’est pas la moindre qualité de cet album de grande taille, bien fourni en pages (plus d’1kg de BD tout de même…) – le graphisme NB est tout simplement somp-tu-eux. Pour cette chronique « noire et partisane » nouvelle génération, il fallait bien ça.

Little Bic Man.