Traduction: Frank Reichert.

Après deux romans centrés sur Rene Shade et pointant juste certains éléments de la vie de la fratrie François et Tip, Woodrell nous renvoie dans le même décor glauque de Frogtown, quartier cajun ou redneck de St Bruno en Louisiane sur les bords du fleuve. Dans « battement d’aile », l’animation, le foutoir étaient venus de produits d’exportation particulièrement dangereux et abrutis à l’idéologie vaguement néo nazie et au comportement assassin et suicidaire.

Pour clore le cycle, pour lui donner une vraie patine de romans badass, en plus de la violence, de l’action, de dialogues succulents de méchanceté, Daniel Woodrell fait apparaitre l’âme du quartier, représentant l’essence de la déliquescence de cette population engluée dans le marigot, le cador, le champion de la major league de la mufflerie et de la connerie, porte-drapeau de la beaufitude, un gros con célèbre encore malgré les décennies d’absence à écumer les bars glauques, les salles de billards louches, à collectionner les femmes que peut contenir le Sud du pays : John X. Shade, la légende de Frogtown mais qui n’a pas que des amis car nul, on le sait, n’est prophète en son pays « John X.  bite sournoise ».

Son retour surprend énormément surtout que le rustrissime, à l’aube de la soixantaine n’est plus que l’ombre de ce qu’il a été, les yeux larmoyants, la tremblote, fauché, poursuivi par un psychopathe à qui, forcément, il doit de l’argent et flanqué de sa plus jeune progéniture Etta âgée de 10 ans laissée à son père par sa deuxième épouse qui s’est barrée, et donc, accessoirement, sœur des trois grandes brutes Shade.

L’intrigue est ici encore beaucoup plus fine que dans les deux autres romans. On peut presque parler d’une symbolique de l’homme rattrapé par son destin sous l’apparence d’un très dangereux malfaisant, reste à savoir et c’est l’histoire du roman si, John arrivera encore une fois à s’échapper, en a-t-il encore la volonté, la force, l’envie ? Le roman est propice à des moments de nostalgie, de souvenirs qui accompagnent les délires éthyliques de John X., se fritant avec de vieux amis, se remémorant les bons et les mauvais moments, des espaces plus contemplatifs s’inscrivant comme des moments plus graves dans la bouffonnerie ordinaire des débats.

Woodrell, pour la première fois, met en lumière de la tendresse, de la compassion pour ces hommes et femmes que la vie, dès la naissance, n’a pas épargnés et ainsi se greffent aussi des idylles naissantes entre Tip et François écorchés vifs et deux jeunes femmes cabossées de la vie qui pensent à une deuxième chance. De grands sentiments, de l’humanité, des passages émouvants, renversants de sincérité, d’authenticité, de la belle ouvrage, de la bonne came ! Et beaucoup de regrets de devoir quitter cette famille…

On peut très bien lire chacun des romans indépendamment mais la lecture des trois à la suite montre vraiment la richesse de l’œuvre et les mues de l’auteur passant de Elmore Leonard à du Ron Rash mais sévèrement burné quand même, avec un final très, très émouvant, qui renvoie à leurs études beaucoup d’auteurs ricains adulés en ce moment.

Sacrimenteries.

Wollanup.

PS1: On peut signaler une autre relation père fille très fusionnelle dans le remarquable Les douze balles dans la peau de Samuel Hawley de Hannah Tinti, rare très grand moment de 2017 avec Little America de Henry Bromell et Un seul parmi les vivants de Jon sealy.

PS2: A grand roman, une illustration musicale de grande qualité par les Mountain Goats dans une cover meilleure que l’originale.