
Nyctalopes suit Cathy Bonidan depuis ses débuts avec Le parfum de l’hellébore (un premier roman récompensé par onze prix littéraires) et a chroniqué ses romans quand ils abordaient la noirceur que nous chérissons ici. Victor Kessler n’a pas tout dit, sorti en 2020 en pleine pandémie, fut l’occasion de constater qu’on avait eu méchamment tort de cantonner la dame dans le « feel good ». Elle n’y a jamais évolué si on sait bien lire ses romans, y compris les plus légers comme Chambre 128 où derrière une certaine fantaisie se lisaient des situations difficiles. Traduit dans neuf pays ce roman a connu une belle carrière américaine, toujours présent en anglais mais aussi en français dans les bibliothèques publiques des plus grandes villes comme New York. « Nul n’est prophète en son pays« , semblait dire ce beau succès à l’étranger.
« Depuis son plus jeune âge, Barbara prend soin de sa sœur Edwige, dont l’enfance traumatisée ne cesse de la poursuivre – au point de mettre de côté sa propre vie. Jusqu’au jour où les deux sœurs quittent leur Normandie natale pour le petit village de Sainte-Colombe, dans les Hautes-Alpes.
Au creux des montagnes, elles prennent un nouveau départ : Edwige est accueillie à bras ouverts, se passionne pour l’écriture et, bientôt, son état psychologique se stabilise. Barbara, quant à elle, tisse de nouvelles amitiés. Soutenues par leur tante et la petite communauté, les deux sœurs tentent de se reconstruire. Mais le passé d’Edwige n’a pas fini de se rappeler à elles. Barbara, tiraillée entre le besoin de protéger sa sœur et son propre désir d’indépendance, doit faire face à des choix difficiles. »
Il est évident que si je n’avais pas déjà lu l’auteure qui nous avait accordé un entretien en 2020, jamais je n’aurais choisi cette histoire qui ne nous concernait pas vraiment. Alors cette quatrième n’est pas fausse, elle est juste indigemment incomplète. Lacunaire pour ne pas effrayer un nouveau lectorat séduit par l’intrigue plus légère de son dernier opus Où la vie nous conduira ? Or, l’auteur confirmée qui écrit maintenant depuis le golfe du Morbihan, tout comme la gamine de Sarcelles qui s’inventait des histoires puis l’instit de banlieue qui écrivait en secret avant l’école, aime changer de monde comme de genre à chaque nouveau roman, cultive son indépendance. Pas de formatage. Juste le plaisir d’écrire et l’envie de raconter des histoires humaines qui la mènent là où les personnages la portent.
Si, bien sûr, les liens entre Barbara et Edwige sont au coeur, Les deux sœurs est avant et tout simplement un putain de polar et il n’y a aucune honte à ça, enfin pas chez nous toujours. Deux histoires criminelles autour des deux sœurs s’y côtoient. L’une est un meurtre et tout accuse Edwige, jeune femme traumatisée dans l’enfance et qui n’a plus eu envie de grandir. L’autre affaire, assez glauque, se situe dans le passé des deux jeunes femmes à Rouen et évoque un aspect de la criminalité particulièrement vicieux et rarement traité dans la littérature policière. Comme à l’accoutumée, la violence est cachée mais la peine, la douleur, la souffrance sont contées avec délicatesse, respect.
En situant son intrigue principale dans un village perdu des Hautes-Alpes, Cathy Bonidan rend à nouveau un chaleureux hommage à cette France qu’on ne voit plus, ces villages semblant assoupis mais qui maintiennent des espaces de solidarité et de bonté. Parfois, par contre on y emporte les secrets dans la tombe. Chez Cathy Bonidan, on croise toujours ces bonnes personnes, souvent âgées dont l’humanité peut faire fondre. Tendre la main, offrir un sourire ou un toit, prendre soin. Roman de la ruralité certainement, Les deux sœurs est de plus traversé, éclairé, par le plus beau personnage créé par Cathy Bonidan à ce jour: La Bessonne, petite vieille, burinée par le temps qui voit tout et qui sait tout, fausse méchante et vraie malheureuse.
« Survivre, on croit que c’est le bonheur. Pour un peu, on allumerait un cierge et on danserait la gigue sur la tombe de ceux qu’ont pas eu cette chance. Ben non! Quand on est la dernière, on porte tous les péchés des morts ».
Bien rythmé, le roman développe une intrigue maline avec de nombreux faux-semblants et fausses pistes. Les deux sœurs permet également à Cathy Bonidan, témoin de son temps, d’enrichir et de développer les thèmes toujours présents dans son oeuvre : l’enfance maltraitée, le don de soi jusqu’au sacrifice d’une vie, les liens familiaux, la vieillesse, la solitude et tous ces gens qui anonymement aident, font du bien…
Cathy Bonidan s’est vêtue de noir et cela lui va très bien. Une sale histoire et un beau roman. Classe !
Clete
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