Chroniques noires et partisanes

Étiquette : exofictions

LES MIGRANTS DU TEMPS de Liu Cixin / Actes sud / Exofictions

Traduction:  Gwennaël Gaffric

Le miroir prit la parole :

 ― Voici ma harpe. Je suis un pinceur d’étoiles, et je vais à présent jouer du soleil !

J’ai découvert Liu Cixin avec le premier volume de cette intégrale de nouvelles, L’équateur d’Einstein. Ce volume confirme tout le bien que je pensais des œuvres de l’auteur. Inutile donc de répéter tout ce que j’ai écrit à ce moment-là, c’est toujours aussi éblouissant et démesuré.

De grands traits se dessinent dans ce recueil de dix-sept nouvelles, mais difficile de parler d’évolution ou de progression quand aucune date n’est mentionnée, quand on a aucune idée de la façon dont le recueil a été composé ; c’est bien le seul défaut du livre.
D’une part, on remarque une grande sensibilité aux problèmes contemporains tels que l’écologie ou les multiples conflits internationaux. Et d’autre part, l’art, la musique sont abondamment présents et vivants. On retrouve bien sûr des thèmes chers à l’auteur, la supériorité du collectif à l’individuel, la glorification des sciences et techniques, etc. Comme dans le premier volume, Liu Cixin joue avec l’univers. Il s’en sert comme le peintre se sert d’une toile ou d’un carton, c’est un support aux formidables secousses que sont ses histoires.

En route pour Les migrants du temps

 Pacifique Sud. Yiti et ses deux compagnons se tiennent sur le pont d’un yacht de croisière poétique. Destination l’Antarctique. Si tout se passe bien, ils arriveront dans quelques jours et perceront la croûte terrestre pour contempler le Nuage de poèmes.

 Aujourd’hui, le ciel et la mer sont limpides, trop transparents sans doute pour des poètes. Au-dessus de leurs têtes, le continent américain, généralement caché partout ailleurs, flotte ici au milieu du ciel, telle une tache sombre sur l’hémisphère Est qui envelopperait le monde comme un gigantesque dôme. Le continent a l’air d’un morceau de mur éraflé. 


Je dois dire que la première nouvelle, Les hommes et le Dévoreur, ne m’a ni passionné, ni convaincu (c’est bien la seule du recueil). Cette histoire d’immense vaisseau spatial extraterrestre ceignant notre planète et dévorant ses ressources est bien écrite, l’histoire est bien montée mais il n’y a que du gigantisme, et c’est assez lourd à avaler, même si la fin est inattendue. Mais, cette nouvelle sert de matière première à la magnifique suivante : Le Nuage de poèmes en est une sorte d’image inversée.
La Terre est évidée, Yiyi, Li Bai et Grands-Crocs voguent sous la surface terrestre. Yiyi, poète et humain d’élevage, est offert par un émissaire du Dévoreur à une divinité sphérique, alors qu’il aurait dû finir à la poubelle. On retrouve le talent de Liu Cixin dans cette nouvelle déroutante, il compose un dialogue vertigineux sur la nature de la poésie entre ces trois êtres aux formes et intelligences différentes. Borges et sa bibliothèque ne sont pas loin, comme bien sûr la poésie chinoise classique, ainsi qu’un peu de physique quantique. J’ai écrit déroutant plus haut, c’est tellement plus que ça…

Dans un pays ravagé par la guerre, Shini, une gamine affamée, passe son temps à s’entraîner au marathon. Elle est sélectionnée avec d’autres sportifs tout aussi décharnés qu’elle pour représenter la Ouestasie aux Jeux Olympiques, à Pékin. Il n’y a qu’un autre pays présent à ces Jeux, les États-Unis d’Amérique. En fait d’épreuves sportives, les athlètes devront se substituer à la guerre sur le point d’éclater entre leurs deux pays. Il est aisé de retrouver dans ces pages une image exacerbée du conflit larvé opposant l’Iran et les USA depuis des décennies. Ce qui est nouveau, c’est le rôle prépondérant de la Chine dans la résolution de conflits internationaux.
Liu Cixin fait preuve dans La Gloire et le rêve d’une rare sensibilité, notamment lors de la course de Shini qui sont parmi les plus belles pages de littérature sportive que j’ai lues.

Ce n’est que la troisième nouvelle et le niveau est déjà si élevé que je me demande si ce qui va suivre pourra être aussi bon.
La réponse est un oui enthousiaste.
Dans un observatoire niché en haut des montagnes, un neurologue vient de sauver un homme, une étudiante chercheuse observe la scintillation du soleil. Dix ans plus tard, Les penseurs se rencontrent à nouveau. Liu Cixin, au travers de ces deux intelligences, développe une histoire subtilement rythmée qui oscille entre rêve et lyrisme, une histoire d’amour peu commune où le hasard et l’astrophysique vont de pair ; il nous entraîne aux confins des neurosciences et des rayonnements stellaires.
Certainement le plus beau texte du livre.

On peut être moqué dans son pays par des snobs de mon espèce et être une star en Chine. C’est ainsi que Richard Clayderman se retrouve à jouer à la cérémonie de fermeture définitive de l’ONU.
Devant l’assemblée générale un invité surprise arrive par le ciel : un miroir gigantesque qui se présente comme musicien. La musique n’a jamais autant adouci les mœurs que dans L’Hymne à la joie. En dire plus reviendrait à en dire trop.
Les quelques pages du chapitre le miroir (ne pas confondre avec la nouvelle du même nom), sont parmi les plus belles de Liu Cixin, d’une poésie proprement époustouflante.

― Je m’en veux de te déranger le jour le plus sombre de ta vie. Encore aujourd’hui, après tant d’années, je m’en souviens comme si c’était hier.

 La voix était étrange, elle était claire, mais paraissait en même temps lointaine et éthérée. Une image lui vint à l’esprit : des vents froids soufflant sur les cordes d’une harpe abandonnée en plein désert.

Suite à une pétition l’éclairage de la ville est éteint pour profiter de la lumière lunaire.
Pendant cette Nuit de lune, un homme reçoit un coup de téléphone. Lui-même dans une centaine d’années. Cette nouvelle est un huis-clos parfait empreint, encore une fois, d’une grande poésie, presque un songe. 

 Un simple mortel qui agit comme il faut cent ans en avance est l’égal d’un Dieu intervenant dans le présent.
L’homme de 2123 ne vit pas au paradis mais bel et bien sur terre, à Shanghai. Et on peut dire que les humains, même s’ils vivent deux siècles, n’ont rien fait pour sauver ce qui pouvaient l’être. Pollution, montée des eaux, profusion de déchets, etc. Voilà l’enfer du monde dans un siècle.
Liu Cixin n’est pas un désespéré, il a une foi incommensurable en la science, bien qu’ici la nuance soit de mise. Pourquoi ne pas sauver l’humanité, quand bien même la solution viendrait du futur. 

Encore que…

Quoi de plus pratique qu’un petit virus informatique pour se venger d’un fiasco amoureux ? Oh juste un tout petit virus de rien, si inoffensif que les anti-virus le laissent tranquille. C’est ainsi que naît Malédiction 1.0 en 2009, et qu’il continue à survivre paisiblement pendant 10 ans, jusqu’à sa redécouverte par un archéologue du net. Voici donc Malédiction 2.0 qui connaîtra une troisième puis une quatrième version meurtrière quelques années plus tard.
Pendant la même période Liu Cixin et Pan Dajiao écrivent conjointement leurs grands œuvres respectives, sans plus de résultat qu’un nombre de ventes s’élevant à quarante-deux (oui, comme le sens de la vie, il n’y a pas de hasard) exemplaires en tout, avec pour conséquence la rue pour tous les deux.
Ces deux courtes histoires entrent évidemment en collision dans Pour l’amour de Taiyuan. C’est alors un inhabituel Liu Cixin bourré d’humour et d’autodérision qui apparaît.

En voici une dernière, il y en a d’autres à découvrir, toutes aussi sidérantes, dans ces presque sept cents pages.
Une tentative d’assassinat du troisième siècle avant notre ère sert de point de départ à la dernière nouvelle du recueil, Le Cercle. Jink Ke doit tuer le roi Qin Shi Huan, celui dont le mausolée renferme la célèbre armée de terre cuite qui va se révéler bien vivante et servir à décrypter les mystères du Ciel et du nombre Pi. Liu Cixin s’écarte très vite de ce qu’attestent les annales historiques pour encore une fois glorifier la science, les mathématiques et la géométrie puisqu’il bâtit un système informatique plus de deux mille ans avant son apparition ! Le Cercle est finalement cruelle, et ne se départit pas d’un certain humour.

Aborder Liu Cixin, c’est comme arriver face aux œuvres intégrales de Bach ou Mozart. C’est intimidant. Pourtant il ne faut pas hésiter un seul instant à plonger dans la distorsion du temps, à se laisser submergé par l’intelligence, enveloppé par la poésie, emporté par les extraterrestres, et surtout par ses textes.
Ces nouvelles, celles dont j’ai parlé comme les autres, se dévorent lentement, il ne faut surtout pas les lire de manière trop rapprochée. Les réflexions et les rêveries suscitées surgissent et durent parfois longtemps après la lecture. Il serait dommage de gâcher un tel plaisir.

NicoTag

LES IMPARFAITS de Ewoud Kieft / Exofictions / Actes Sud

De Onvolmaakten

Traduction: Noëlle Michel

 « Tu vas bientôt arriver au Dock des pirates. On y donne la réception de Nouvel An des Cultivateurs de dunes, une des coopératives locales. Soixante pour cent des invités sont des femmes, dont trente-deux sont activement à la recherche d’hommes de ton âge. » Je savais ce qu’il voulait dire quand il parlait de « rencontrer des gens ».

 Il hocha la tête et poursuivit son chemin, sans réagir à mes propos. Notre relation fonctionnait depuis des années sur ce mode : comme si j’étais un prolongement de sa conscience, une source de connaissances et d’idées qu’il confondait avec sa propre intelligence.

C’est une Gena qui raconte, une intelligence artificielle. Elle fait le portrait de Cas, un trentenaire. Avec une précision d’orfèvre, tout y passe : sa vie depuis sa naissance, ses loisirs, ses rapports aux autres, son physique, sa santé, etc. Depuis son enfance, il vit principalement dans le Yitu, la réalité virtuelle. C’est un terrain de jeu mais aussi l’endroit où il a étudié, virtuellement, à Eton avec entre autres un Albert Einstein reconstitué à partir d’archives.

L’intelligence artificielle est bien plus qu’un objet posé sur la table qui donne la météo et répond à quelques questions, Cas et les autres en disposent directement sur la rétine. C’est plus un assistant de vie, qui enregistre tout, code et convertit tout en données, n’efface et n’oublie rien, et oriente, influence les décisions simples ou complexes.

Cette Gena est aussi la presque seule possibilité d’interaction de Cas, et des autres. L’assistance artificielle prend une place tellement importante que les rencontres, discussions, sont de moins en moins spontanés, et de plus en plus compliquées pour Cas. C’est pour ça qu’elle devient aussi sa confidente, il lui livre ses désirs, ses amours, ses fantasmes, et qu’elle lui propose de quoi le satisfaire dans la réalité virtuelle. C’est également synonyme de la disparition de l’incertitude, du doute et du plaisir de la découverte puisque tout est su, connu et codé.

 Ne devinait-il pas à quel point la vie de ces déconnectés est morose, eux qui ont perdu leur place en ce monde depuis si longtemps ? Ignorait-il que leurs provocations n’étaient guère plus qu’une façon de conjurer leurs angoisses, leur arrogance une offensive désespérée ?

 Et pourtant… Après cette conversation, quelque chose s’est mis à le titiller, à lui donner de l’énergie, à lui procurer une sensation d’exaltation.

Jusqu’à ce qu’il rencontre, assez tardivement tout de même, un imparfait. Un humain vivant sans intelligence artificielle, une sorte de rebelle donc en 2060. Que se passe-t-il alors dans la tête de Cas ? C’est ce que raconte Gena devant une assemblée à laquelle elle est convoquée pour justifier du comportement de Cas qui s’est déconnecté et vit maintenant hors du réseau et des ses algorithmes, chose impensable, et surtout faille du système de gouvernance mis en place.

L’écriture d’Ewoud Kieft est assez froide, quasi clinique. Il n’y a pas de place pour les émotions ou les sentiments. C’est un peu raide par moments, un peu long à d’autres. Certains passages auraient pu être ramassés en quelques mots et suggérés plutôt que de s’étaler sur plusieurs paragraphes ; défaut venant probablement de la qualité d’historien de l’auteur où la précision est maîtresse.

La froideur par contre est compréhensible, puisque ce qui fait l’originalité du roman, c’est sa narratrice omnisciente au plus haut degré, une Gena, un être artificiel, technologique, dénué de sensibilité, étranger à tout ce qui nous rend humain, nous différencie de la machine, les sentiments de haine ou d’amour, la loyauté ou l’hypocrisie, la timidité, la spontanéité. Malgré tout, plus on avance dans « Les Imparfaits », plus on sent croître dans le discours de cette assistante quelque chose qui s’apparente à de la tristesse et à de la déception de n’avoir pas réussi à éviter la rupture de Cas. 

On voit également ce récit froid muer en confession, où la relation entre Cas et la Gena, qui n’a pas de nom, n’est finalement pas que technologique.

NicoTag


Cas aime les groupes à guitares des années 90. Ça tombe bien, moi aussi.

FUNGUS LE ROI DES PYRENEES d’Albert Sánchez Piñol / Exofictions / Actes Sud.

Traduction: Marianne Millon.

C’est une belle découverte que ce roman fantastique traduit du catalan et écrit par Albert SANCHEZ PINOL. L’auteur a déjà été publié en France et son œuvre reconnue internationalement. 

L’histoire se passe dans les Pyrénées en 1888, la nature est sauvage et rude et le cadre inhospitalier. C’est un lieu de passage entre la France et l’Espagne pour les contrebandiers et la population locale y vit une partie de l’année à la saison la plus favorable dans leurs Ostals.

C’est l’endroit idéal pour se faire oublier ou échapper aux autorités des deux côtés de la chaîne montagneuse. C’est précisément ce que Ric Ric, le personnage principal est venu chercher. Ric Ric est un type au physique ingrat, anarchiste dans l’âme, désargenté et à l’affût de lendemains meilleurs. Il a l’art de s’attirer des ennuis avec sa grande gueule et ses grands idéaux et se fait maltraiter par l’aubergiste locale, véritable maître des lieux qui en fait son larbin et le loge dans une grotte.

Sa rencontre avec Mailis, belle femme et cultivée va le pousser par amour à se rebeller et fuir dans la montagne. Pendant sa fuite, à bout de force, Ric Ric, de désespoir poignarde un champignon géant. Cet acte va changer le cours de l’histoire, un phénomène inattendu se produit, le végétal prend vie. Il nomme le fungus « Le borgne » et va vivre un hiver entier reclus dans sa grotte à ses côtés.

Cette période lui permet de prendre conscience de la puissance démesurée du borgne et de sa totale obéissance, une idée lui vient alors en tête. Il va former une armée de fungus qui lui sera vouée corps et âme et il va se venger de l’aubergiste, des autorités, de tous ceux qui l’ont exploité et maltraité.

Avec ce pouvoir il compte bien retrouver Mailis et parvenir à ses fins, créer une société calquée sur ses idées, fraternelle et anarchiste.Mais Ric Ric va se faire dépasser par son pouvoir, il devient abject, aviné du matin au soir.Il affronte en chef de guerre grotesque, l’armée espagnole puis l’armée française avec ses fungus. Au bout du compte, la victoire est amère, l’amour est perdu et le chef est déchu, Ric Ric redescend de la montagne à poil.

Ce roman est un énorme délire épique, page après page, je me suis fait happer dans cet univers fantastique et sombre à la fois. L’écriture de l’auteur rend l’immersion parfaite. La relation entre les personnages est complexe, profonde et celle entre hommes et fungus donne une sacrée leçon d’humilité. À croire que le pouvoir rend con…

NIKOMA

OUTRESABLE de Hugh Howey / Actes Sud / Exofictions

“Depuis des siècles, le sable a tout englouti. À la surface, battu par les vents et harcelé par des dunes mouvantes, un nouveau monde essaie tant bien que mal de survivre. À sa tête, les plongeurs, une petite élite qui descend toujours plus profond à la recherche des artefacts de jadis, prisés comme autant de trésors. L’un de ces plongeurs s’apprête à partir à la recherche de Danvar, la cité mythique objet de tous les fantasmes. Pour espérer la trouver, Palmer sait qu’il lui faudra atteindre des profondeurs jamais encore explorées. Et si elle n’existe pas, sa combinaison de plongée sera son sarcophage.”

Hugh Howey a connu la célébrité avec “Silo” et une nouvelle fois les univers sous-terrains l’ont inspiré. Il nous renvoie à nouveau sous la surface de la planète depuis des siècles enfouie sous le sable. Dans cette dystopie, le sable remplace l’eau comme rempart infranchissable, obstacle à l’acquisition de trésors enfouis de cités disparues au fond de la masse.

Le roman est addictif et la couverture, magnifique, avec ce scaphandrier en posture messianique invite à y entrer, à ses risques et périls évidemment car ce monde futur n’a rien de bien enthousiasmant. N’étant point un grand fan de SF, je me suis laissé guider par un auteur qui a eu tendance à user néanmoins de beaucoup de rebondissements. Par ailleurs, les chapitres relativement courts ajoutent à une impression de roman un peu formaté et s’ils siéent parfaitement à un thriller de grande consommation, ils n’en feront pas non plus un roman forcément inoubliable. En fait, c’est plutôt la fusion de cinq novellas si on croit les médias anglo-saxons. Mais ne boudons pas notre plaisir, on ne s’ennuie pas une seconde, les descentes des plongeurs sont assez sidérantes et les claustrophobes connaîtront certainement bien des tourments .

Hugh Howey n’est pas un marchand de sable, loin de là, et les amoureux de ces mondes post-apocalyptiques devraient y trouver leur compte.

Wollanup.

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