Traduction: François Gaudry.
J ‘ai beaucoup d’affection pour Enrique Serna qui écrit de grands romans sur la réalité sociale mexicaine. Encensé par les plus grands comme Gabriel Garcia Marquez, Serna est de la race de ses grands conteurs sud-américains qui ravissent les amateurs de grandes fresques en langue espagnole. Quatrième roman de l’auteur traduit en français et une nouvelle fois une fresque apocalyptique du Mexique et de sa classe politique.
« La ville de Cuernavaca est une poudrière dont tous les niveaux ont été infiltrés par les narcotrafiquants. La vie quotidienne est ponctuée par les échanges de coups de feu, la découverte de cadavres décapités, les cartels se disputent la place. Comment un homme disposé à défendre ses convictions jusqu’au bout, à mettre en pratique ses idéaux de légalité et de justice, peut-il se battre sur ce terrain miné ? Jesús a su, malgré la corruption ambiante, se tenir à l’écart des factions qui utilisent le pouvoir à des fins personnelles. Et il pense qu’il peut accéder à la mairie. »
Et Jesús y croit dur comme fer, lui, au prénom prédestiné, fonctionnaire sérieux et incorruptible il pense qu’il sera désigné par son parti. Mais les romans du Mexicain abondent de pièges cruels et le prénom de Jesús choisi par Serna sera particulièrement pertinent pour lui faire subir un véritable chemin de croix. Au départ, on peut être désorienté par la profusion de personnages ainsi que par la multitude de titres honorifiques ou réels présentés par l’auteur mais très vite, on suit aisément le tragi-comique parcours du combattant de Jesús . Dans le marigot politique local s’affrontent de nombreux prédateurs, pourris, arrivistes, putes, corrompus et Jesús en fera les frais. Les alliances se font et se défont dès qu’apparaissent l’argent ou le pouvoir, rien de bien neuf, on connait les mêmes fripouilles ici mais au Mexique, dans une société encore très dépendante de la religion et de supposées bonnes manières Jesús va, de plus, faire l’énorme erreur de tomber amoureux de la mauvaise personne quand on veut gagner une élection en se présentant comme le chevalier blanc. Son électorat peut très bien lui pardonner son divorce en pleine campagne mais s’il apprend la liaison sulfureuse qui est sienne, son avenir politique est mort. Et quand bien même, la chair est faible et Serna a déjà bien raconté les malheurs des mâles mexicains dans son irrésistible « Coup de sang » également paru chez Métailié en 2013, et Jesús, amoureux fou, va prendre le risque de continuer cette passion amoureuse tout en la gardant secrète. Je vous souhaite la même surprise que celle qui fut mienne.
Il est évident qu’il manque encore à ce capharnaüm, l’élément indispensable à la vie politique, économique et sociale du pays, la fraction qui gouverne réellement le pays, les cartels. Et fort évidemment Jesus aura à affronter deux d’entre eux qui veulent s’accorder ses bonnes grâces… au départ puis l’éliminer devant son attitude méprisante. Et pourtant, un cartel va réussir à le piéger tandis que l’autre va jouer sur ses liens familiaux avec l’amour défendu de Jesús.
Les personnages sont bien en place : Jesús contre les politiciens corrompus, les cartels, une police achetée, un adversaire jeune premier marié à une vedette adulée des telenovelas…. Ne manque plus que le décor, Cuernavaca (365 000 hbts) dans l’état du Morelos, ville située à 13 km de Temixco (100 000 hbts) où Gisela Mota, 33 ans a été abattue le lendemain matin de son investiture à la mairie, devant ses parents, le 2 janvier 2016. Belle région!
Enrique Serna, en grand observateur de son pays et de ses contemporains, va faire exploser cette poudrière dans un roman furieux où son puissant humour cruel vient au secours de la tragédie pour ne pas rendre le propos et l’histoire encore plus glauques qu’elles nous apparaissent au fur et à mesure que sont pointées toutes les tares inexpugnables d’ un Mexique n’existant que selon le bon vouloir des narco-trafiquants et de la part du butin que chacun peut s’octroyer.
«Je te jure, beau-frère, que j’aurais aimé être comme toi : honnête, responsable, exemplaire. Mais ici, au Mexique, la droiture est un luxe que les pouilleux ne peuvent pas se permettre… J’aurais aimé te voir assis sur un trottoir, sans un rond en poche, ta vie foutue à dix-huit ans, méprisé par les nanas qui te font envie, humilié par les flics qui t’embarquent parce que tu es en train de picoler dans la rue, oui, j’aurais bien aimé voir si t’aurais pas fini voyou. »
Roman éminemment social sur le Mexique traité à la manière d’une comédie cruelle au verbe très fort, « la double vie de Jesús » se double d’un dénouement digne des meilleurs polars pour en faire un roman exceptionnellement riche.
Génial!
Wollanup.
SORTIE LE 25 AOÛT.
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