C’est à « Quais du polar » que j’ai eu envie de lire ce livre. J’étais peut-être lassée par les polars ruraux, une mode comme une autre en littérature, mais qui dit mode dit parfois engouement surfait… Au cours d’une conférence, j’ai été frappée par la simplicité, l’authenticité et l’humour d’Antonin Varenne : il ne m’en faut parfois pas beaucoup pour me jeter sur un livre ! Et bien m’en a pris car ce « Battues » est une pépite : fort, noir et tout simplement beau.

La ville de R. se partage entre deux clans : les Messenet et les Courbier, grands propriétaires terriens et seuls fournisseurs d’emplois dans cette zone rurale sinistrée. C’est une petite commune où tout le monde se connaît, où les rancunes ont la peau dure et où tout se sait, ce que l’on ne sait pas on l’invente sans la moindre bienveillance. Un paysage somptueux mais une atmosphère lourde…

Rémi Parot, garde-chasse de R., défiguré à la suite d’un accident agricole à l’adolescence y a toujours vécu, c’est son grand-père qui y a acheté des terres. Mais il n’y est pas forcément le bienvenu, toujours un peu étranger après trois générations, l’intégration se fait lentement… Il est resté et s’est installé au fond des bois, loin des regards de la ville sur ce qu’il a pu sauver des terres de ses parents de l’appétit des requins locaux.

Michèle Messenet, elle, est partie pour être libre, anonyme, oublier… dans la dope surtout et elle revient après quelques années et un séjour en taule, les blessures toujours ouvertes, la rage, la hargne contre cette entité malfaisante qu’est R. : les racontars, l’impossibilité de vivre sa vie sans le jugement de tous et l’approbation des hobereaux du coin qui pensent qu’ils ont tous les pouvoirs, petits seigneurs qu’on laisse faire.

Et gare à ceux qui résistent : un militant écolo, opposé à l’exploitation intensive du bois, seule activité économique restante, disparaît. C’était un ami de Rémi qui va participer aux recherches et mener l’enquête.

« Les hommes laissèrent les distances se creuser entre eux et commencèrent à marcher d’un pas plus long et rapide. La pente dans le dos et n’y croyant plus vraiment, ils accéléraient naturellement, distançant Rémi qui continua à s’user les yeux sur le moindre morceau de terre, la moindre tache de couleur aperçue. Il pensait à Philippe, roulé dans un tas de feuilles mortes, sur un humus pourrissant, à quelques mètres de lui, peut-être, et lui revenait le souvenir de l’odeur du sang qui se mélangeait à celle de la prairie fauchée ; la douleur qui le ramenait à la conscience en des chocs déments ; la folie des secondes, coincé sous la ferraille. Il avait attendu, comme Philippe, peut-être, un œil fiché au ciel, se demandant si quelqu’un allait lui venir en aide ou s’il allait crever ici. »

Cette enquête va remuer bien des choses et remonter loin dans le passé : les vieilles haines, les conflits larvés, les humiliations ravalées vont décupler la ténacité de Rémi. Il va mener l’enquête façon pitbull et peut-être en profiter pour régler quelques comptes… Dans cette région de taiseux, on ne s’explique pas, on cogne voire on tire.

On est au far west. Le gendarme du coin, qui n’est pas du coin justement, en est réduit à compter les points, un peu ahuri par cette violence qui se déchaîne hors la loi, ici, on lave son linge sale en famille…

Antonin Varenne sait parfaitement rendre l’atmosphère étouffante de ces petits coins où la désertification a accentué le repli sur soi et où mai 68 n’a pas changé grand-chose. Tous ceux qui ont vécu dans ce genre de petite ville reconnaîtront l’ambiance, d’où qu’ils soient et c’est ce qui fait la force de ce récit qui se situe dans un territoire mais va bien au-delà, au cœur de la nature humaine et des passions qui l’animent. Les élites locales qui règnent en maîtres et sans contestation possible, qui s’en mettent plein les poches, petits suzerains corrompus et pleins de suffisance, on les retrouve partout.

Rémi, cowboy solitaire, justicier, mais pas seulement… va les combattre. Une autre force de ce roman ce sont les personnages, magnifiques! Ils sont tous terriblement humains avec des sentiments forts mais aussi des failles, des blessures et de grandes zones d’ombre.

Avec une écriture simple et fluide, Antonin Varenne construit brillamment son histoire en zigzaguant dans la chronologie, mêlant récit et dépositions, sans jamais nous perdre. Tout en disséquant cette petite société et les liens qui les unissent tous, il nous entraîne dans un western du Massif central et nous révèle peu à peu une sombre histoire dont personne ne sortira indemne.

Un magnifique roman noir qui n’a rien à envier aux grands romans américains.

Raccoon