Sur le sentier de Saint-Jean, je me suis arrêté, à bout de souffle, sur la grande pierre plate, avant d’entamer la dernière montée qui mène à la chapelle. Et ce que j’avais imaginé est arrivé. Enfin pas tout à fait. Sous l’impact de la balle qui m’a perforé la cuisse, l’azur s’est bien déchiré en deux, mais rien n’a bougé. La mer ne s’est pas vidée et le ciel est resté suspendu en l’air. J’ai pensé à Lucie, à sa déception. Pas de Nathan visible. Puis j’ai été happé par l’intensité de l’expérience, car autre chose de bien plus incroyable s’est produit. Je me suis introduit dans la fente de pure lumière tout à coup béante entre le ciel et l’eau. 

 L’écriture est vive, dès les premières phrases on reste cloué sur place, à genoux. Sylvia Cagninacci nous raconte la jeune vie de Dominique, en commençant par celle de Noëlle, sa mère, une combattante du quotidien, et de son père Ange, un tocard à l’esprit tordu qui siphonne l’alcool par litres entiers ; un couple qui se détruit, qui s’aime autant qu’il se déteste. Je ne révèle pas grand-chose en écrivant qu’au bout d’une poignée de pages Dominique meurt, victime accidentelle de la balle d’un chasseur. Il continuera malgré tout à nous parler, nous confier sa vie et ce qui l’a mené sur ces chemins forestiers et malheureusement mortels. 

 De ce meurtre, l’autrice aurait pu dérouler une banale histoire de vengeance et une enquête policière, mais non. « Des îles et des chiens » n’est pas vraiment un polar, plutôt un roman noir et même très noir, c’est également une tragédie, de celles qui déchirent le cœur et l’âme, qui collent une boule dans le ventre et la gorge.

 Sylvia Cagninacci se concentre sur la folle mécanique de jalousies et d’engueulades, qui a emmené cet enfant à se réfugier sur les hauteurs de son village corse. On voit ce couple qui se saborde, ce gamin qui subit toute cette violence et en même temps l’amour incommensurable qu’il porte à chacun. Puis l’uppercut qui dégomme la mère et le père quand ils apprennent, chacun de leur côté, et comprennent que leur fils est mort.

Le roman se passe en Corse, les odeurs, la chaleur des pierres ensoleillées transpirent à chaque page, mais il pourrait se passer n’importe où. L’atmosphère générale y est aussi close et rustre que dans le Kentucky de Chris Offutt lu dernièrement.

 Je trouve les personnages d’enfants et d’adolescents généralement peu réussis, rares sont les David Vann, les Marion Brunet. Je peux désormais ajouter à cette courte liste « Des îles et des chiens ».

NicoTag