Alors qu’il arrive au seuil de la trentaine, un ex-adolescent des années 2000 est insatisfait de sa vie terne : il s’ennuie dans son travail de téléconseiller, fréquente une femme qu’il a connue lors d’un Erasmus en Angleterre avant de s’en désintéresser et vit dans un sentiment croissant de flottement et d’irréalité.
Son seul exutoire : la fascination qu’exerce sur lui Anna, sa demi-sœur d’une famille recomposée. Il sent partout sa présence et éprouve le besoin toujours plus vif de renouer avec elle. Un jour, il trouve un moyen de la surveiller en permanence ; son obsession prend alors le pas sur tous les aspects de son quotidien – au risque de mettre au jour ses zones d’ombre.

Ce qu’il y a de positif avec la collection Scribes de chez Gallimard, c’est que l’on va véritablement de surprise en surprise. Et je ne parle pas de bons romans qui s’inscrivent parfaitement dans un genre ou dans un autre, mais de réelles surprises à la marge des genres codifiés. Des premiers romans et des nouvelles voix qui empruntent, pour le moment, des chemins un peu à l’écart des grands boulevards. Anna partout est le sixième roman publié chez Scribes et le premier pour l’autrice Chloé Ronsin Le Mat.

Le résumé est un peu vague. Il ne nous dit pas vraiment à quoi l’on peut s’attendre en lisant ce livre. Je ne parle pas de l’histoire en elle-même mais du type de livre auquel on va avoir à faire. Est-ce un roman noir ? Un thriller ? Ou tout autre chose ? J’avais un doute avant lecture et ce doute a longtemps persisté au fil des pages. Je n’arrivais pas à saisir exactement où l’autrice souhaitait emmener le lecteur, ni même ses personnages et plus spécifiquement le narrateur. J’ai fini par me dire, durant un moment, que peut-être était-ce là un roman qui passait simplement à côté de ce qu’il aurait pu être. Bien évidemment, je me suis fourvoyé, car j’attendais quelque chose d’Anna partout qui n’est pas ce que Chloé Ronsin Le Mat a souhaité en faire, à juste titre, plutôt que de me laisser porter. 

On est rapidement au fait de l’obsession de notre narrateur pour sa demi-sœur Anna. Mais celle-ci se veut dans un premier temps assez diffuse, pour petit à petit s’amplifier. On ne comprend pas exactement le pourquoi du comment de cette obsession. C’est d’abord une petite flamme qui finit par devenir un feu dévorant. Quel est le déclencheur ? La raison précise ? Des questions restent en suspens. Il nous manque des éléments pour voir le tableau dans son ensemble. La raison à cela ? L’histoire nous est racontée par le premier concerné, « l’obsédé », « le coupable », « le responsable », qui se livre par bribes selon son propre point de vue qui n’est pas sans déni. Notre perception des faits s’en trouve ainsi biaisée. Puis la réalité finit par rattraper notre narrateur et c’est seulement là que l’on prend pleinement conscience de l’ampleur de la chose. Il nous faut connecter les points et rassembler les pièces, mais pour cela il faut accepter qu’en tant que lecteur nous ne sommes pas ici dans une position habituelle. C’est là toute l’astuce et l’intelligence du livre de Chloé Ronsin Le Mat.

Ecrit d’une plume très ronde, d’une fausse simplicité mais d’une réelle maîtrise, on découvre avec Anna partout une voix affirmée. Un roman incontestablement ancré dans son temps, de par son contexte et les thématiques qui le traversent. Il nous plonge habilement dans la psyché d’un homme insidieusement toxique et fatalement dangereux. Une fois de plus, Scribes régale.

Brother Jo.