
« Beaucoup des femmes enfermées avec elle avaient été victimes avant d’être criminelles, même les plus teigneuses. Et il était fréquent d’entendre des cris nocturnes déchirer la solitude des cellules et ouvrir une brèche éphémère sur un monde de terreur infantile. À l’aube, les cloisons étaient colmatées et les petites filles s’étaient tues.»
Johanne vient de purger 6 ans pour un homicide. Elle ne se souvient pas des circonstances de l’accident sinon d’une soirée très arrosée entre copines et avec sa sœur Lili. Johanne était alors monitrice d’auto-école. Double pédalier. Leçon de conduite. Mais qui conduisait et à quelle place ?
Ida, sa tante, devenue sa belle-mère est venue la voir deux ou trois fois.
Son père, jamais.
Elle sort de prison mais en liberté conditionnelle pour encore quelques mois. Sous l’œil plus ou moins indulgent (ou impliqué ?) de ceux qui surveillent son parcours de réinsertion, ce sera à elle seule de « recomposer l’armature de ses jours ».
Avec peu de choix : supporter l’aliénation d’un boulot mal payé, trouver un logement dégradé, lutter contre le manque d’argent, la défiance mutuelle, son propre regard sur elle-même, le vieux démon de l’alcool …
Au point d’envisager parfois « au creux de la vague nocturne » de « céder et de retourner à l’abri des quatre murs de sa geôle »
Le rythme de la lecture est alors assez lent, la spirale de la chute semble inéluctable.
Le vocabulaire lui-même semble préfigurer les barreaux et les grilles de la prison imprimés à jamais dans la mémoire de la jeune femme. Dans le décor portuaire dans lequel elle se réfugie tout est carcasse rouillée rejetée par la Garonne, grands bras métalliques de grues, grillages de chantiers, rideau métallique de l’échoppe de son père…Plus loin, même l’océan emprunte « sa couleur d’acier au ciel »…
Jusqu’à ce qu’un jour, une phrase : Boire c’est se soumettre, formulée sans relent moral par la femme de SOS médecin, percute Johanne comme une évidence : « Son parcours de réinsertion allait à rebours de sa vraie libération et la conduisait à l’échec.»
On s’attend alors à ce que l’énigme monte en puissance, mais la rébellion tant espérée sombre vite dans un quotidien décevant.
« Percer la nuit » est le premier roman de Carole Agari. Il est plein d’humanité et d’une écriture agréable mais laissera-t-il un souvenir inoxydable ? Pas sûre…mais « à suivre ».
La citation de Pierre Soulages mise en exergue: « Outrenoir : noir qui, cessant de l’être, devient émetteur de clarté, de lumière secrète. » Pierre Soulages, Les éclats du noir, écrits et propos résume assez bien, la lente émergence de l’héroïne.
Soaz.
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