Traduction: Charles Recoursé .
Auteur de nouvelles remarquées publiées dans la presse, il paraissait logique que Maxim Loskutoff, qui a grandi au Montana entre autres, publie son premier recueil en 2018 et soit traduit en français en 2019 dans la collection Terres d’Amériques qui ne s’est pas fait remarquer jusqu’ici par son manque d’à propos éditorial.
Avec le background annoncé, le titre aussi du recueil, les douze nouvelles rassemblées semblaient nous inviter à suivre un nouvel auteur dans l’Ouest américain depuis les origines jusqu’à nos jours. Mais passée la première nouvelle, L’ours qui danse, loufoquerie posée dans le Montana en 1883, commence réellement la collection de textes de Viens voir dans l’Ouest marquée d’un même motif sombre, plus ou moins prononcé selon les histoires, à savoir l’existence, dans un futur proche d’une entité sécessionniste au cœur du continent américain, la Redoute (the Redoubt), aux limites vagues mais qu’on entrevoit vers l’Idaho, le Montana et l’Oregon. Au regard du nombre de survivalistes et de milices armées qui prospèrent dans certaines régions de ces Etats (rappelez-vous l’épisode de l’occupation milicienne du Refuge faunique national de Malheur dans l’Oregon en 2016) sur la base de théories du complot foisonnantes, d’un militarisme sans complexe et d’un constitutionnalisme tatillon, au regard également des fractures de l’Amérique contemporaine, le scenario n’est pas qu’une audace littéraire.
En remarquable contrepoint, les vies auxquelles s’intéresse Maxim Lostukoff sont ordinaires par leur solitude, leur amertume, leur fragilité et leurs défaites. L’existence de la Redoute est comme un orage qui menace à l’horizon, quelque de chose de pesant et nécessaire, un soulagement en même temps qu’un événement sans lendemain. Parfois, ce n’est qu’un roulement de tonnerre épisodique. Parfois l’orage vient jusqu’à vous et ne vous épargne pas. Les personnages dispersés autour et dans la Redoute sont usés, ils ont peur, ils sont en colère, ils connaissent les affres de l’amour et les inévitables blessures que celui-ci apporte. Quelque chose ne va pas ou plus dans leur vie. Ce quelque chose est souvent quelqu’un. Ils essaient de se rattraper à quelque chose d’autre. Une mère doit faire rempart dans sa communauté pour protéger ses enfants parce que leur père est parti affronter les forces fédérales (Papa a prêté serment). Une femme au foyer se prend d’une obsession meurtrière contre un arbre dans son jardin (Comment tuer un arbre). Un charpentier au chômage rejoint la milice après que sa femme l’a quitté. Et bascule dans l’auto-apitoiement quand les premières frappes aériennes anéantissent son bled (Trop d’amour). Un ancien soldat élève la fille d’un camarade tombé au combat dans le bunker de survie sous une ferme abandonnée et a grâce à elle de sinistres projets pour continuer la lutte (Récolte).
Que l’énumération ne trompe pas : les nouvelles de Maxim Lokustoff nous plongent dans un Ouest sans romantisme, une contrée dure, propice à l’isolement et aux rêves de nouveaux départs mais les personnages, qu’il nous donne de façon très vive, ne sont pas tous directement concernés par l’existence et les péripéties de la Redoute. Leur portrait psychologique prend le dessus et nous rapproche de dissections répandues dans la littérature contemporaine au sujet du couple en crise et de la famille.
Le tout constitue au final un ensemble à l’écriture maîtrisée, entre passé, présent et avenir, un peu insolite, par instants brillant, par instants plus ternes. Trois textes – les plus affirmés sur le plan dystopique (Trop d’amour, Récolte et La Redoute) – m’ont paru à la hauteur de la promesse d’un « Ouest américain réinventé et au bord de la guerre civile » et à ce titre, les plus intéressants.
Nul doute que nous devrons reparler de Maxim Loskutoff qui prépare son premier roman, Spirits.
Paotrsaout
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