Le prix Médicis en 1983, le Goncourt en 1999, la carrière de Jean Echenoz, déjà bien remplie, a été largement reconnue par le public comme par la critique. Il m’aura juste fallu attendre son vingt-cinquième ou vingt-sixième roman pour découvrir son oeuvre, appâté par un multitude d’avis dithyrambiques sur son dernier roman “ Vie de Gérard Fulmard” paru en janvier aux Editions de Minuit. Néophyte absolu, je me garderai bien de situer cet opus dans l’oeuvre foisonnante de l’auteur, me contentant d’un avis sur ces 170 pages vite avalées.

“La carrière de Gérard Fulmard n’a pas assez retenu l’attention du public. Peut-être était-il temps qu’on en dresse les grandes lignes.

Après des expériences diverses et peu couronnées de succès, Fulmard s’est retrouvé enrôlé au titre d’homme de main dans un parti politique mineur où s’aiguisent, comme partout, les complots et les passions.

Autant dire qu’il a mis les pieds dans un drame. Et croire, comme il l’a fait, qu’il est tombé là par hasard, c’est oublier que le hasard est souvent l’ignorance des causes.”

Fumard est un naze, viré de son emploi de steward pour une affaire dans un vol Paris Zurich qui restera bien mystérieuse. Fulmard n’a aucun talent et cet emploi de steward était bien miraculeux pour ce petit bonhomme à la quarantaine bien rondouillarde quatre vingt-neuf kilos pour un mètre soixante neuf. Ne sachant rien faire de ses dix doigts pour gagner sa vie, il décide de créer une agence de détectives sans la moindre qualification, un peu, toutes proportions gardées quoique, comme le Jack Palmer du regretté dessinateur René Pétillon. Très rapidement, il est recruté par un parti politique aussi obscur que lui et le grand n’importe quoi va pouvoir débuter…

“Vie de Gérard Fulmard” n’est pas un polar même s’il en emprunte certains aspects pour en détourner les codes, pas plus un roman politique, le dit parti fictionnel fort de ses 2% n’ayant que très peu d’influence sur la vie du pays. Mais, néanmoins, il héberge en son sein pas mal de tarés, d’incapables et Fulmard peut très bien s’y sentir dans son élément, en terrain connu d’incompétence. On est bien sûr dans une comédie et non pas dans un roman noir sociétal et on le voit et on le comprend dès le début. L’intrigue ne vous fera pas grimper aux rideaux, juste un moyen très pratique et nécessaire pour créer des personnages farfelus, de dessiner des portraits hilarants, agrémentés par des digressions souvent hilarantes aux liens avec le sujet parfois très, très minces.

Echenoz est un orfèvre, son style pince sans rire est un vrai bonheur en cette période bien noire. On suit l’évolution du parti et de ses magouilles comme celle de Fulmard le sourire aux lèvres, souvent épaté par la classe de certains paragraphes par la beauté littéraire de certains passages au vocabulaire parfois sorti d’un autre temps, suranné, obsolète ou particulièrement érudit au service de digressions superbes.

“Arrive un temps où tout s’érode un peu plus chaque jour, là encore est l’usure du pouvoir : du royaume digestif à l’empire uro-génital, de la principauté cardiaque au grand-duché pulmonaire, sous protection de plus en plus fragile du limes fortifié de l’épiderme et sous contrôle bon an mal an de l’épiscopat cérébral, ces potentats finissent par s’essouffler. Il faut alors courir sans cesse de contrôle en examen, d’analyse en prélèvement, de laboratoire en officine, toujours en retard d’un expert en attendant le gériatre et, à plus ou moins long terme, le médecin légiste et son certificat.”

Un vrai moment de bonheur si vous décidez de laisser tomber le pan intrigue si prévisible, juste utilisé pour mettre en avant des délires verbaux magnifiques. On est parfois dans le même univers barré que celui de Franz Bartelt, certainement le roman idoine pour oublier pendant quelques heures notre sombre quotidien actuel.

Clete.