« Il éteignit le moteur, glissa la clef dans le pare-soleil, et changea de T-shirt, le sien était tâché du sang. Il vit Martin, un grand gars dans la quarantaine, blond et rougeaud, qui aiguisait ses couteaux et l’observait. Il semblait fasciné par les cicatrices qui couturaient les épaules d’Asano. On devinait au moins deux points de sortie de projectiles, dans l’omoplate droite et sous les côtes flottantes, et des vestiges de perforations, entailles plus ou moins profondes. L’une naissait sous l’oreille gauche et ondulait jusqu’aux pectoraux.«
Asano a un passé bien abîmé de mercenaire en Serbie et d’ex-taulard pendant une douzaine d’années ; son présent dans un hameau vers Senones : une liberté conditionnelle surveillée par les gendarmes du cru. D’homme de main pour braqueurs, il est passé homme à tout faire pour Léon Chevreux.
Les Vosges c’est pas que des forêts sibériennes sur de vieilles montagnes, c’est des usines en friches, des villages déserts, un peu de braconnage et de menus arrangements aussi. Chevreux, l’entrepreneur local qui tient le village avec un sale chantage à l’emploi, Chevreux le fort en gueule à qui tout le monde doit quelque chose s’y connaît plutôt bien en magouilles.
Pour compléter « Pour seul pardon », Élise Chevreux, fille unique du précédent qu’elle ne supporte pas, mais qui tient le même caractère ombrageux.
Pour compléter un peu le portrait d’Asano, Thierry Brun parsème de petits récits fragmentaires, de moments imaginaires ou bien réels, amoureux avec une Béatrice que l’on croisera plus loin ou violents du côté de l’ancienne Yougoslavie.
—Il a pris des paquets…du produit. Tu vois ?
Produit. Mot de fic. De Voyou.
Asano la fit répéter avec la sensation qu’une faille s’ouvrait sous ses pieds.
Produit.
Un truc.
Mots simples d’une densité insupportable.
Paquets. Produit.
Truc.
Quelques mots qui s’entremêlaient et annonçaient avec une précision absolue une menace vivante et brûlante.
La cargaison qui embrase le roman entame son voyage à Lima au Pérou, arrive en France par Le Havre, prend la route pour les Vosges et se crashe avec l’aide de Chevreux et ses gars.
Le livre se transforme alors en grenade dégoupillée, nous explose dans les mains quand les destinataires, des Nancéiens bien méchants, veulent récupérer leur bien.
Thierry Brun signe ici un roman aussi sombre et touffu que les forêts vosgiennes, court et nerveux, du genre qui remue bien les tripes. Il ne dit pas tout, c’est à nous de relier ces morceaux, d’imaginer, de combler les trous, il ne s’embarrasse pas non plus à envoyer des punchs lines à chaque paragraphe. C’est direct et efficace.
« Pour seul pardon » passe aussi raide qu’un verre de whisky cul sec.
NicoTag
« The Wagon », de Dinosaur Jr, on y retrouve la même urgence que dans ce roman de Thierry Brun.
Commentaires récents