UFO 78
Traduction: Serge Quadruppani
Wu Ming (anonyme) est le nom d’un collectif de trois à cinq auteurs italiens publiés habituellement par Métailié qui depuis 25 ans nous offre des romans surprenants reprenant des épisodes de l’histoire mondiale. C’est le cas dans Manituana qui raconte la guerre entre Français et Anglais en Amérique vue du côté des grands perdants les tribus amérindiennes. Leur spécificité est de revisiter des évènements avec une focale très politisée mettant en avant les victimes, les sans grade. Pour autant, les romans de Wu Ming ne sont pas de simples romans historiques. Les cinq auteurs usent toujours de facéties et de malice pour narrer des histoires avec le plus grand sérieux, la plus belle intelligence tout en proposant des parcours plus ou moins arrangés avec l’Histoire. De petites histoires à l’ombre de la grande revêtant au final des allures universelles, où à un fond riche s’allie une forme littéraire de qualité où croyances et légendes sont partie intégrante d’un propos qu’elle élève en lui donnant une couleur quasiment mystique voire carrément psychédélique comme ici. Un vrai bonheur renouvelé à chaque roman quand on a goûté une fois aux univers souvent barrés de ces si discrets Italiens.
« 1978 fut à la fois l’année de l’enlèvement d’Aldo Moro, qui marqua la fin de la période d’agitation révolutionnaire et culturelle post-68 en Italie, et celle où il y eut dans la Péninsule le plus de signalements d’ovnis.
Dans ce roman exigeant, et qui emmène loin, on suit principalement trois personnages : Zanka, écrivain communiste à succès, est pris entre doutes sur la légitimité de son travail et besoin de gagner de l’argent. Son fils Vincenzo, qui s’efforce de rompre avec la toxicomanie, s’est installé dans la communauté mystique et libertaire de Thanur. Milena, sociologue féministe en congé du gauchisme, étudie les mœurs des ufologues.
Zanka enquête sur la disparition de deux jeunes scouts dans le massif toscan du Quarzerone. Des rumeurs circulent. Ont-ils été enlevés par des extraterrestres ? »
Il est très difficile de parler du voyage, des voyages auxquels Wu Ming vous convie avec bonheur dans le plus italien de leurs romans et certainement aussi le plus envoutant. Si le propos initial est la recherche de ces deux scouts disparus deux ans plus tôt sur ce massif du Quarzerone, personnage principal de OVNI 78 , les chemins empruntés pour arriver à la résolution de cette intrigue sont tortueux, diversifiés et parfois très éloignés, en apparence, de la quête. Si manifestement, on lit la photographie d’une société italienne à un moment terrible de son histoire, l’enlèvement d’Aldo Moro par les Brigades Rouges, les cheminements narratifs tracés nous emportent parfois très loin du propos initial : dans le monde des ufologues et ufophiles qui s’extasient devant les effets spéciaux de « Rencontres du troisième type » de Spielberg, bouffent des champis pour ensuite tailler le bout de gras avec des aliens… mais aussi dans une communauté hippie rattrapée par une société capitaliste et mercantile dont elle veut pourtant s’affranchir. Le rock progressif allemand des années 70 : Neu !, Can, Tangerine Dream, Popol Vuh, Klaus Schulze mais aussi le Magma de Christian Vander, sera l’enivrante B.O. d’une histoire passionnante, un peu perchée par instants, souvent embellie par de petits moments de grâce littéraire.
« Chaque dimanche qui s’apprête à finir est un mélange de mélancolies typiques, surtout dans les gares de province, et surtout quand, comme en ce jour d’avril, il pleut. »
OVNI 78 s’avère être parfois un roman ardu, qui se gagne, qui se mérite. Au départ, il faudra accepter de se laisser embarquer malgré une incompréhension des chemins de traverse empruntés pour atteindre la beauté, la malice comme l’érudition et l’intelligence qui éclairent une histoire remarquable. Sorti aux éditions Libertalia en mai dans un format de poche qui peine un peu à vraiment contenir toutes les merveilles qu’il recèle, OVNI 78 est un pur petit bijou noir pour lecteurs exigeants et enclins à se laisser emporter dans une histoire très barrée où faits historiques, rumeurs, légendes et pures inventions s’harmonisent pour vous embarquer, génialement, très, très loin. Classe !
La dernière phrase du roman:
« Des histoires qui se transmettent par le bouche à oreille, jusqu’à ce qu’on ne se demande même plus ce qu’elles ont de vrai. »
Clete.
Proletkult sur Nyctalopes.
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