Traduction : Estelle Roudet.

Karin Brynard est une auteure d’Afrique du Sud, elle a grandi dans une petite ville de la Province du Cap Nord où se déroule le bouquin. Elle a été traductrice et journaliste politique. Ce livre, de 2009, est son premier publié en France. Il a reçu le « debut prize for creative writing » de l’université de Johannesburg.

« À la lisière du Kalahari, dans la province du Cap-Nord, les meurtres de fermiers blancs sont si fréquents que des milices d’autodéfense se sont constituées pour protéger les survivants contre la violence des Noirs, déterminés à récupérer les terres qu’on promet en vain de leur restituer. Aussi, quand Freddie, célèbre artiste peintre, et la petite fille métisse qu’elle a adoptée sont découvertes, la gorge tranchée, dans leur ferme reculée, les soupçons se portent aussitôt sur le contremaître, un bushman mystérieux et étonnamment sophistiqué. Mais il ne faut pas négliger la sœur de la victime, Sara. Elles n’étaient pas en très bons termes… Personne ne semble disposé à aider l’inspecteur Beeslaar, venu de la ville et peu au fait des coutumes locales, dans son enquête qui se complique à vue d’œil. »

On est loin de l’univers des grandes villes sud-africaines qu’on est plus habitué à côtoyer dans les polars et l’inspecteur Beeslaar qui va devoir enquêter sur ce meurtre est dans le même cas. Il se retrouve à ce poste après un drame qui a stoppé sa carrière à Johannesburg mais a du mal à s’habituer à sa nouvelle vie : la chaleur, le veld et les mœurs de ses habitants … même les araignées ! Tout lui est étranger.

Dans cette petite ville, la police manque cruellement de moyens : Beeslaar n’a que deux adjoints sous ses ordres, des débutants qui connaissent le secteur mais pas la manière de mener une enquête pour homicide et seulement deux véhicules pour sécuriser un secteur où les fermes se trouvent à des kilomètres les unes des autres, où le réseau de téléphone ne passe qu’à certains endroits de routes qui ne sont bien souvent que des pistes défoncées.

Et la violence est là ! Des vols de bétail dans les fermes, des meurtres dans une ferme, il n’en faut pas plus pour ranimer des antagonismes et des réflexes datant de l’apartheid… La grande majorité des fermiers sont blancs et s’ils n’ont plus le pouvoir politique, ils ont encore le pouvoir économique. Ils s’y accrochent et sont prêts à en découdre d’autant que les extrémistes instrumentalisent la peur chez les fermiers et créent des milices qui peuvent faire régner la terreur, rendre une justice expéditive et violente ou même organiser des soulèvements contre ce gouvernement dont ils se sentent les victimes.

Voilà l’ambiance dans laquelle on embarque aux côtés de Karin Brynard, les attaques et meurtres de fermiers existent réellement en Afrique du Sud, certains prennent sans doute à la lettre la chanson « kill the boer, kill the farmer » qui date de la lutte anti-apartheid. Selon les sources que l’on peut consulter, la couleur de la peau des victimes est ou n’est pas la raison de ces meurtres. La majeure partie des terres appartiennent aux Blancs et s’il y a des velléités de réforme agraire dans ce pays, elle est difficile à mettre en œuvre, les revendications territoriales doivent être justifiées et acceptées, les ex-propriétaires doivent être indemnisés et certaines expériences se sont soldées par des échecs, les nouveaux propriétaires n’étant pas assez formés.

On comprend combien tout est compliqué dans ce pays où le taux de criminalité est l’un des plus forts au monde. La fin de l’apartheid n’a éradiqué ni la misère ni la violence. Karin Brynard connaît bien la vie et l’histoire de ces petites villes rurales du Cap Nord, elle y a grandi. L’enquête de Beeslaar va l’amener à se plonger dans l’histoire des différentes communautés du veld avec des mœurs et des croyances différentes : les Bushmen quasiment disparus, les Griquas un peuple de métis qui s’appelaient eux-mêmes « les Basterds », les Boers… Tous coexistent sans se mélanger, sans se comprendre, dans la peur, réelle ou fantasmée. Mais il devra également se pencher sur les intérêts des uns et des autres dans cette région agricole qui se tourne peu à peu vers le tourisme.

Les personnages sont tous vraisemblables, ce sont des humains avec des contradictions, des parts d’ombre, des secrets plus ou moins avouables. Dans l’ambiance bien particulière de cette région, où la violence est ordinaire, ils sont soumis aux mêmes passions que partout dans le monde : amour, jalousie, vengeance, avidité…  Karin Brynard réussit à créer de beaux personnages, certains hauts en couleurs, beaucoup très sombres et elle mène à bien cette intrigue complexe de belle façon dans un contexte très documenté où on reconnaît la patte de la journaliste.

Un très bon polar où la violence se déchaine dans la chaleur du veld.

Raccoon