Beastings

Traduction: Clément Baude

On vous a déjà parlé de l’auteur anglais Benjamin Myers pour deux polars Degradation et Noir comme le jour, sortis au Seuil en 2018 et en 2020. Deux intrigues policières particulièrement troubles, parfois dérangeantes dans une ambiance gothique très prononcée.

« Au nord de l’Angleterre, dans la région des lacs, une jeune fille s’enfuit avec un bébé. Ignorante de tout, elle plonge dans une nature sublime et dangereuse ; elle lutte contre la faim, les éléments, les hommes qu’elle croise – l’agriculteur, l’ermite, le chasseur ; elle rêve de traverser les eaux pour gagner une île miraculeuse où elle élèverait l’enfant dans la joie. Mais le prêtre local est chargé de les retrouver. Il engage le braconnier pour l’aider à les traquer. »

Ecrit avant les deux polars précédemment cités, Le prêtre et le braconnier, au titre lorgnant de manière très manifeste vers la parabole biblique, a toutes les couleurs blafardes d’un vrai sale « South Gothic » à la seule différence très significative que l’on n’arpente pas ici le Texas ou la Louisiane mais le nord de l’Angleterre, une région de lacs, de tarns comme on dit là-bas où pointent fells, des collines couvertes de lande, ainsi que des crags, des éperons rocheux escarpés.

Sur cette lande, désespérée mais totalement déterminée, fuit une gamine, une ado mal finie qui porte serrée contre elle un nourrisson qui ne serait pas le sien. Au début, on est dans un vrai brouillard typiquement anglais. Qui est cette fille ? Pourquoi fuit-elle. ? A qui est ce bébé ? Qu’a donc vécu cette gamine au point de quitter son existence de domestique pour affronter de son plein gré le froid, la faim, la soif, la peur, la douleur, la violence et la terreur ? Petit à petit, de  petites lucarnes s’ouvrent partiellement vers la vérité, nous informent, nous laissent imaginer… sans aucune certitude. On est vraisemblablement au début du XXième siècle quand démarre ce périple où à la fureur des éléments se joindra l’inhumanité des humains rencontrés, faux amis et vrais salauds : paysan, chasseur, ermite… Mais c’est le prêtre qu’elle redoute le plus, qu’elle fuit de tout son corps et de son âme.

A sa poursuite, principal acteur de l’hallali, un prêtre, pervers, comme on s’en aperçoit très rapidement mais dont on ignore jusqu’à quelles extrémités peuvent le mener sa vilainie, ses perversions et ses visions de la foi déformées par sa folie et une addiction à la cocaïne très vite incontrôlée. Il est évident que la rencontre qui aura lieu sera éprouvante pour la petite fille qui ne sera jamais nommée ainsi que pour le lecteur très vite attrapé par la toxicité extrême du roman.

On est souvent déçus par ce genre de romans qui ont tendance à tomber rapidement dans les bains de sang dégueulasses et autres boucheries gratuites salopant, plombant parfois des cadres joliment baroques pour les transformer en navrants théâtres de grand guignol. La qualité des deux écrits déjà lus de Benjamin Myers nous préservait d’un tel marasme a priori et son roman, effectivement, s’avère hautement recommandable. La narration de la tentative de survie de la gamine et du nourrisson d’un côté et les errements « bibliques » du salopard ensoutané de l’autre rendent la lecture inquiétante, très rapidement. Tout au long de cette traque, Myers réussit à nous épouvanter. D’ailleurs beaucoup plus avec ce qu’il pourrait advenir que par ce qu’il se produit en fait, un des marques des grands auteurs.

Conte effrayant, méchamment toxique, Le prêtre et le braconnier, certainement la bonne surprise de l’automne.

Clete.