Traduction d’Isabelle Reinharez
Louise Erdrich a grandi dans le Dakota du Nord où se passe ce roman. Elle est née d’un père germano-américain et d’une mère ojibwa qui travaillaient au bureau des affaires indiennes et l’ont toujours encouragée à écrire des histoires. Elle appartient au mouvement de la renaissance amérindienne et a reçu plusieurs prix au cours de sa carrière. Ce livre date de 1986. Il a été publié en 1988 sous le titre « La branche cassée » et est réédité cette année dans une nouvelle traduction.
« La dernière chose que Mary et Karl entrevoient de leur mère, c’est la flamme de ses cheveux roux émergeant du biplan qui l’emporte pour toujours aux côtés d’un pilote acrobate… Devenus orphelins, les enfants montent dans un train de marchandises afin de trouver refuge chez leur tante, dans le Dakota du Nord.
Ainsi commence, en 1932, une chronique familiale qui s’étend sur plus de quarante ans, et fait vivre toute une galerie de personnages hors du commun en proie aux paradoxes de l’amour. »
L’écriture de Louise Erdrich est puissante, on sait dès le début qu’on ne va pas s’apitoyer sur le sort de ces orphelins. On va les voir affronter la vie chacun à leur manière, seuls et définitivement abîmés par cet abandon. Sur le champ de foire d’où s’est envolée leur mère, abasourdis, les deux aînés laissent un inconnu leur arracher des bras leur jeune frère, nourrisson. Et dès la première scène du livre, on sait qu’ils vont suivre des chemins différents : ils se séparent, sans que l’on comprenne bien pourquoi, comme pour en finir avec ce lien désormais insupportable. Karl fuit, il passera sa vie en errance et Mary reste, se construisant une carapace, se mettant à l’abri chez sa tante où elle n’hésitera pas à s’imposer et s’accaparer ce qui revient à sa cousine Sita : l’amour de ses parents, sa meilleure amie Célestine…
Les personnages de Louise Erdrich sont forts, atypiques et hauts en couleur. Ils ne sont pas animés par l’amour romantique mais par des passions violentes, âpres, parfois destructrices. Le pardon n’est pas forcément à l’ordre du jour dans cette terre froide du Dakota et malgré la fréquentation de l’école catholique de la ville, on ne tend pas forcément l’autre joue… Les êtres blessés sont, tout comme les animaux, capables de cruauté.
Mary, Célestine, Sita, Karl, Wallace et plus tard Dot… Tous vont se débattre pour exister, leurs trajectoires vont se croiser, parfois se mêler avec d’autant plus d’étincelles qu’ils connaissent peu la confiance et l’amour et sont très maladroits dans ces registres. Des cabossés de la vie. Et les personnages secondaires ne sont pas oubliés et participent à l’atmosphère du roman : Fleur, une Indienne colporteuse qui recueille et soigne Karl enfant puis le laisse dans un orphelinat, Russell frère de Célestine, héros indien de la guerre de Corée à Argus…
Louise Erdrich écrit un roman choral, les personnages principaux sont narrateurs à tour de rôle et le récit s’étoffe par les éclairages différents qu’ils apportent sur des évènements qui se chevauchent dans une belle construction. Ce sont plus souvent les femmes qui prennent la parole car ce sont elles les points d’ancrage de cette histoire, depuis la trahison initiale de la mère, mais les hommes ne sont pas négligés. Tous sont décrits sans aucun manichéisme avec des sentiments et des émotions fortes, violentes parfois paradoxales avec leur part d’ombre, comme dans la vraie vie…
Un beau roman sombre et torturé, heureusement, Louise Erdrich nous accorde une infime lueur d’espoir à la fin, infime, mais qui fait du bien !
Raccoon
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