O crime do bom nazista
Traduction : Hélène Melo et Clara Domingues

Le train décolle, Hercule Poirot danse au pas de l’oie et Agatha Christie est un Brésilien. Pas sûr que toutes ces mutations « dégénérées », comme l’art du même tonneau, plaisent au chancelier autocrate et cinglé qui vient de prendre le pouvoir en Allemagne, suite aux élections législatives de novembre 1932. Néanmoins, ce jour d’octobre 1933, un dirigeable quitte Berlin pour rallier le Brésil, avant même la Nuit des longs couteaux et l’inauguration de ces camps de concentration destinés en premier lieu à l’incarcération des opposants politiques, des déficients mentaux et des homosexuels. Le vol LZ 127 Graf Zeppelin avale ainsi l’Atlantique de toute sa puissance luxueuse, digne d’un Orient-Express des airs. À bord, ça dégoise sec, entre deux lampées de Champagne ou un Puligny-Montrachet. Ҫa cautionne à tout-va le virage fasciste d’un empire germain en marche. L’opulence règne et s’accorde toutes les dérives verbales d’un entregent nauséabond. Après une escale à Recife, l’imposant obus aérien de la compagnie Luftschiffbau Zeppelin reprend son vol vers Rio de Janeiro. Tout de suite, un nouveau passager attire l’œil avisé du jeune Bruno Brückner, inspecteur assermenté de la Kriminalpolizei et croix gammée épinglée à la boutonnière. Un pur produit donc des nouvelles milices d’une gangrène nationaliste dont les dévoiements n’en sont qu’à leurs prémices. Un chien de garde en somme, en charge d’orchestrer le huis clos qui s’organise au sein de la nacelle. L’arrivant, monté à Recife se nomme Otto Klein, négociant en café pour le compte de l’armée allemande. L’anglais de service s’appelle William « Willy » Hay. Quant à la baronne Fridegunde van Hattem et le docteur Karl Kass Vöegler, médecin eugéniste spécialiste « des préjudices que le métissage porte aux nations », ils complètent la monochromie d’un tableau plus blanc que blanc. Pas question de laisser s’infiltrer les miasmes impurs dans l’un des fleurons de l’industrie du Reich. Même les membres de l’équipage du Commandant Hugo Eckener et autres seconds rôles se doivent d’être triés sur le volet aryen. Pourtant, l’inévitable grain de sable vient perturber le doux ronronnement des hélices. À l’aplomb de Salvador de Bahia, Otto Klein, ou plus exactement Jonas Shmuel Kurtzberg d’après un second passeport trouvé dans sa cabine, est retrouvé empoisonné au cyanure et figé dans un cri muet digne d’Edvard Munch. Seul flic du casting réduit, Bruno Brückner prend de fait l’affaire en main. Et avec ce crime en vase clos on entre évidemment de plain-pied chez Agatha Christie. Mais avec une victime juive et homosexuelle, Samir Machado de Machado ajoute une bonne dose de ces racismes éternels au décor Art Déco flottant de son roman. Le panel complet des suspects potentiels se voit interrogé, donnant ainsi à l’auteur l’occasion d’élargir le propos du livre à la censure des arts, aux intimidations totalitaires, à l’homophobie, à l’antisémitisme, à l’effet de meute sur les esprits simples, à toutes les ségrégations et autres déviances tenaces d’hier à aujourd’hui.
Après son copieux blockbuster précédent, Tupinilândia, le natif de Porto Alegre choisit cette fois les options d’une pagination réduite, d’un sprint en 140 pages vives et ramassées et d’un dénouement particulièrement inattendu, sorte d’impeccable valse des subterfuges et des identités, dont bien sûr nous ne dirons rien…
JLM
Commentaires récents