Traduction: François Gaudry
Le hasard de mes lectures fait que je suis passé d’un roman argentin parlant des horreurs perpétrées pendant la dictature en Argentine en 1978 « les eaux troubles du Tigre » à un roman péruvien traitant des dictatures en Amérique du Sud à la même époque et dénonçant lui aussi partiellement les mêmes méfaits orchestrés par le pouvoir argentin de l’époque. Si le premier était très sombre, l’autre « la peine capitale », de Santiago RONCAGLIOLO traite cette sinistre époque d’une manière, dans un premier temps mais juste dans un premier temps, beaucoup plus légère. Signalons que ce roman est un prequel d’ « Avril rouge » paru au Seuil où Félix alors substitut de procureur a maille à partir avec le Sentier Lumineux.
« La dernière fois que Joaquín était venu le voir, Chacaltana l’avait trouvé un peu pâle. “Prends soin de toi. Tout ira bien”, lui avait-il dit. Apparemment il avait tort.
Félix Chacaltana Saldívar est assistant-archiviste au Palais de Justice de Lima. Il vit avec sa mère, une veuve austère, bigote et mal embouchée. Il aime l’ordre, le code pénal, le bouillon de poulet et sa fiancée Cecilia, qu’il aimerait bien embrasser (mais comment ?). Jusqu’au jour où il tombe sur un bout de papier griffonné qu’il ne sait pas où classer. Dans la foulée, Joaquín disparaît.
C’est la Coupe du monde 1978, les matchs paralysent la ville, et notre parfait Candide se lance sans s’en rendre compte dans une enquête sordide sur fond d’opération Condor. Jamais à court de naïveté, il promène sa bonne foi inébranlable parmi les espions, les activistes, une blonde mystérieuse et un vétéran de la guerre d’Espagne, tous plus rompus que lui aux secrets du monde. »
Dans « la peine capitale », vous avez un héros, Félix, niaiseux à souhait, à l’ouest de l’Ouest en ce qui concerne une quelconque conscience politique, embringué dans une relation difficile avec sa mère veuve et incapable d’avoir une relation amoureuse adulte avec celle qu’il aime qui a le tort de tenter de comprendre l’assassinat d’un ami. Nombreuses sont les pages franchement savoureuses et on les retrouve avec bonheur et soulagement pour arriver à digérer le drame de la situation politique d’un Pérou qui tente de sortir de la dictature tout en faisant partie de l’opération Condor chargée d’enlever et d’éliminer les opposants en Argentine, au Chili, au Paraguay, en Uruguay, au Brésil, en Bolivie… toute personne ayant des idées révolutionnaires, communistes…Belle région que ce continent sud-américain où les services secrets s’unissaient pour exterminer une jeunesse qui avait le tort d’imaginer un autre avenir ou tout simplement des pensées autres que celles des militaires en place.
Alors, commençant une quête naïve, Félix ne se doute absolument pas qu’il met le doigt et toute le bras dans un engrenage infernal dont il comprendra l’ampleur et les multiples tortueuses ramifications qu’assez tardivement mais très brutalement voulant préalablement montrer son absolue fidélité à l’administration du pays.
Alors, dans un crescendo terrible, la comédie légère se transforme en thriller particulièrement alarmant au fur et à mesure que Félix prend conscience de ce qui se trame en secret dans le pays et dans toute l’Amérique latine avec comme principaux monstres et bourreaux les Argentins.
Situé pendant la très controversée coupe du monde de 1978 en Argentine voulue comme une vitrine de la grandeur du pays par la junte militaire, le roman offre ainsi des pages d’euphorie populaire devant les exploits de l’équipe péruvienne absolument bien rendus .Les chapitres ont pour titre les différents matchs de l’équipe péruvienne emmenée par le remarquable Cubillas, idole d’un peuple et les scènes d’action ,de violence de détresse et d’amour du roman sont rythmées par les hurlements des commentateurs et les acclamations des populations fiévreuses.
Je ne reviendrai pas sur certains détails : les tricheries des organisateurs afin que l’Argentine arrive en en finale, l’opprobre jetée sur le gardien de but péruvien accusé bien à tort de trahison mais les vieux amateurs de foot se régaleront en reconnaissant des footballeurs qui les ont fait rêver (Kempes,Lato…), des matchs qui ont fait date. Grande précision néanmoins, le foot n’est qu’un décor, un arrière-plan bien visible, un opium du peuple pour masquer les horreurs qui se déroulent dans le même temps, absolument pas le sujet d’un roman particulièrement passionnant.
Etant aussi doué dans la comédie que dans l’étude sociologique et géopolitique du pays et de la région, Santiago RONCAGLIOLO saura aussi vous émouvoir au plus haut point, y compris avec des personnages pourtant franchement haïssables aux blessures jamais cicatrisées. Un grand, grand roman.
Énorme coup de cœur.
Wollanup.
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