Un jeune professeur québécois prend l’avion pour prendre son nouveau poste, dans un coin nord du Québec, le Nunavik. Ces quelques heures de vol lui font se rendre compte de sa totale ignorance des gens parmi lesquels il va vivre et qui pourtant arpentent ces terres depuis des siècles, bien avant ses ancêtres à lui.
Kuujjuak se trouve sur les berges de la Koksoak, proche de la baie d’Ungava et de l’océan Arctique.
C’est un pays de froid, de vent, de glace, sans arbres ou presque.
De là, la vue sur la rivière est magnifique. Tu aurais aimé t’arrêter, prendre le temps de contempler l’endroit où tu venais d’atterrir, où tu allais passer la prochaine année scolaire. Le ciel était immense ; un sentiment de claustrophobie t’a envahi et tu n’as rien demandé. De toute façon, tu n’étais plus certain que tes jambes allaient supporter ton corps si vous sortiez de la camionnette. Toute cette année, dans ce village d’où on ne peut sortir qu’en avion. Toute une année, dans ce village où tu ne connais personne. Toute une année, dans ce village… dans ce village.
L’enfer du nord n’est pas forcément le froid glacial. Ça peut être ce que vit Guillaume en débarquant. Un sentiment de décalage total. Que ce soit avec ce qu’il imaginait, ou rêvait, de la vie dans ces régions, une sorte de vision romantique et surannée ; ou avec les personnes, les Inuit, dont il ne sait rien de la culture ni de l’Histoire, et qui ne sont en rien figés dans un passé idéalisé ou dans un zoo. Ce qu’il découvre est loin de ses certitudes, de tout ce qu’il croit savoir, de ce qu’il n’a jamais appris. Son vertige est aussi inattendu qu’incommensurable.
Jusqu’au déclic qui prend la forme d’une crosse de hockey ; un monde s’ouvre, enfin. Le sport se greffe dans le récit, les pages de matchs et d’après matchs sont ferventes, dures, animales.
Dans un récit parallèle on retrouve Guillaume quelques années plus tard, marié et père, vivant à proximité de la ville mais entouré, pour quelque temps encore, de bois et de forêts. Il se penche sur son passé et regarde sévèrement son présent, ce qu’il laisse derrière lui, et ce qu’il peut transmettre. Guillaume, qui est probablement d’après les pages lues deci-delà un double de l’auteur, a bien la tête dans son époque, mais son cœur est dans une autre, plus rude, plus proche de la nature.
Durant tout Le territoire sauvage de l’âme, Jean-François Létourneau nous raconte, nous donne à voir et à sentir les oiseaux, les animaux, les paysages qu’ils soient de glace ou de bois, tente de lire les ciels selon les moments et les lieux, essaie plutôt bien que mal d’apprivoiser les gens autour de lui avec toujours un sens acéré du détail touchant ; on le sent adossé au nature writing du Rick Bass de Winter ou du Journal des cinq saisons.
Alors certes ce court roman n’a rien de révolutionnaire, ni dans le propos ni dans l’écriture, il manque peut-être de ceci ou de cela, mais J-F Létourneau nous parle, et le roman prend appui sur cette parole limpide, dense. La lecture du Territoire sauvage de l’âme est un vrai moment de plaisir, et je n’ai pas besoin de plus pour l’apprécier et bien démarrer cette nouvelle saison de lectures.
NicoTag
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