À quelques encablures de Venise, sur l’horizon de la lagune se profile Poveglia. L’île abandonnée abrite les ruines d’un ancien asile. Lorenzo Kiesler prétend que King Kong est mort là-bas, au milieu des aliénés. Certain qu’il est son petit-fils, il regarde sa fin injuste comme une prémonition du meurtre de la nature. Quand la Mostra organise une soirée en l’honneur du King Kong de 1933, Lorenzo décide de s’y rendre et de venger son grand-père.

Jean-Christophe Cavallin, Docteur en Lettres Modernes, également professeur à l’université Aix-Marseille où il est responsable du master « écopoétique et création », signe avec Kong Junior son premier roman. Un premier roman qui n’est pas son premier livre puisqu’il est déjà l’auteur de quelques ouvrages. A l’évidence, pour ce qui est de la littérature, Jean-Christophe Cavallin connaît son rayon, mais est-ce que cela est assez pour faire d’un premier roman un bon livre ?

Quand j’écris sur un livre, pour exprimer mon avis j’entends, généralement je m’attarde un peu sur l’histoire avant de me prononcer sur l’écriture, ne serait-ce que quelques lignes. Mais je dois dire ce qui est, il m’est délicat de m’étendre ici sur l’histoire. Je me suis perdu dans la quête qui est celle de Lorenzo Kiesler. Je ne me suis pas perdu comme si j’avais décroché, comme si je n’appréciais pas ce que je lisais. Non. Je me suis perdu comme si je m’égarais dans un rêve. Un rêve trouble mais fascinant. Je me suis laissé entraîner par Lorenzo Kielser, qui lui-même semble perdu, dans Venise et ses alentours, plus belle et mystérieuse que jamais. Un étrange imaginaire se mêle ici à une réalité bien concrète. Un peu comme si l’on était plongé dans un brouillard dans lequel on perçoit les contours de ce qui nous entoure mais où tout semble insaisissable.

Ce qui frappe dès que l’on entame la lecture de Kong Junior, et qui m’a d’une certaine façon fait perdre le fil du récit bien que celui-ci ne fasse que 200 pages, c’est la façon d’écrire de Jean-Christophe Cavallin. Il est d’emblée évident que, bien que ce livre soit un premier roman, il est l’oeuvre d’un auteur confirmé qui semble avoir passé une vie à façonner une langue d’une poésie et d’une richesse folles. De l’esthétique magnétique de ses phrases à la musicalité envoûtante de son écriture, il y a une puissance littéraire d’une beauté tout à fait particulière qui se dégage du texte. Il n’y a pas une phrase dont on ne se régale pas.

« En regardant le vestibule au toit crevé de ciel bleu, avec son lustre de guingois, ses murs mangés d’éboulis, j’ai pensé aux chambres souterraines dont un coup de pioche éventre le plafond et dont la lumière du jour dissout les fresques antiques. Dans cette ruine où rien ne bouge, je savais que quelque part, assis au pied d’un mur ou sur un éboulis, Ritz était en train de s’éteindre. Est-ce que j’aurais dû le chercher ? J’avais défloré sa nuit. J’avais voulu l’éclairer, lui montrer comme elle était belle et je l’avais condamnée. Le rai de lumière nocive que j’y avais introduit la rongerait comme un acide. Ritz avait vécu dans le noir, mais sur tous les murs de ce noir respiraient de grandes fresques encombrée de héros, d’animaux légendaires, de combats mystérieux. Bientôt tout cela aurait disparu. Le jour y était à l’œuvre comme le ver dans le fruit. »

Kong Junior est un roman envoûtant à l’écriture puissante qui est l’apanage des grands auteurs. Jean-Christophe Cavallin a un talent d’écrivain indéniable et une passion pour la littérature qui ne fait aucun doute. Une lecture tout à fait étonnante et qui tient plus d’une confirmation que d’une première fois.

Brother Jo.