Chroniques noires et partisanes

Étiquette : carlos zanon

PEPE CARVALHO ; TOUT FOUT LE CAMP de Carlos Zanon/Seuil.

Traduction: Georges Tyras.

Carlos ZANON, qui a déjà fait ses preuves en matière de roman noir et récompensé notamment pour « J’ai été Johnny Thunders », a été choisi pour ressusciter le célèbre Pepe CARVALHO près de 15 ans après la mort de Vazquez Montalban (L’auteur original).

Grosse pression et gros pari pour l’auteur mais pari réussi. On retrouve l’atmosphère, les codes, certains personnages comme Biscuter et surtout Pepe Carvalho. Bien entendu, le contexte est contemporain, dans une ville de Barcelone touristique, bouillonnante, partagée entre indépendantisme et cosmopolitisme. De retour au pays, l’homme a vieilli, tourmenté entre un passé sulfureux et un présent qui ne l’attend plus, qui va trop vite, trop 2.0.

Pepe Carvalho semble assagi, affaibli, dépassé mais la donne va changer lorsqu’il est chargé par une amie de reprendre du service et d’enquêter sur un crime familial, sans compter qu’un tueur en série sévit dans le secteur. Il retrouve alors toute son acuité, ses réflexes et l’envie de survivre à sa propre déchéance, l’envie de croire que tout va bien finir.

Le rythme est soutenu au travers de nombreux chapitres courts pour un roman de plus 500 pages. La lecture est parfois exigeante et renvoie à de nombreuses références, ponctuée de passages très durs comme poétiques, le tout sur fond de toile sociale très noire. Bref un cocktail surprenant, piquant, exaltant et doux amer qui se boit jusqu’à la dernière goutte.

Quant à l’histoire en tant que telle, elle est partagée par différents petites enquêtes, qui se lient ou pas à l’enquête de fond qui est bien plus complexe qu’elle n’y parait au premier abord. Alcool, abus, cocaïne, prostitution discount, violence, sexe sale, enfance perdue, innocence envolée…Difficile à résumer tant c’est dense. Pour savoir si on aime, faut goûter et Pepe Carvalho reste par ailleurs toujours un excellent cordon bleu tandis que Biscuter passe à Master Chef…bref, tout fout le camp !

Nikoma

J’AI ÉTÉ JOHNNY THUNDERS de Carlos Zanón/Asphalte

Traduction: Olivier Hamilton

Rock!

Ce roman est rock, doublement rock, infiniment rock. Rock dans le sens musical mais aussi dans le sens anglais de pierre précieuse de joyau noir et je n’ai pas peur de tels superlatifs tant j’ai été ébloui et bousculé par ce roman. Tout est magique pour l’amateur de rock un peu expérimenté, comme dans « Haute Fidélité » ou « 31 songs » de Nick horby, le genre de roman où l’évocation de groupes, d’époques musicales, de morceaux vous rappelle différentes étapes bonnes ou mauvaises de votre propre histoire, où les choix musicaux vous rendent d’emblée complices de l’auteur. Et le parcours musical proposé dans ce roman colle de façon presque inquiétante au mien. J’ai jubilé pendant tout le roman et j’aurai du mal à expliquer de façon précise à quel point j’ai lu le roman que j’attendais depuis un petit moment. Le genre de bouquins dont vous avez vraiment envie de parler avec vos amis. L’auteur en est même devenu un pote au moment où j’ai commencé à chipoter sur une référence musicale et pourtant c’est une sacrée pointure en matière de culture rock. Et si j’ai choisi de mettre en premier Pixies, c’est d’abord parce que les pages parlant du morceau « Debaser » dans le roman sont superbes et je n’ai pu qu’approuver ces dires tout en notant à plusieurs reprises une vraie préférence pour Kim Deal par rapport au « gros » et d’autre part, c’est quand même Pixies la grande star musicale de ce roman, qu’on retrouve dans certaines pages, dans les titres de chapitres « Ed is dead », dans des moments urgents ou dramatiques à vous briser le cœur.

Et là, je m’interromps un instant parce qu’il n’y a quand même une grosse connerie dans le roman, une énorme pour moi, mais vu la confidentialité du groupe en France, cette énorme bévue ne choquera sûrement pas grand monde et n’est pas très importante dans l’histoire non plus. Mais, moi, je suis un grand fan des Avett Brothers dont la musique est attachée à de belles périodes récentes de ma vie et ils n’ont jamais écrit « live and let die », c’est McCartney pour un James Bond,  les Avett Brothers chantent « Live and Die » et ce morceau magique, » les Beatles sous le soleil » respirant l’humanité, les bonheurs simple vécus et chantés, est présent à deux énormes moment du roman, l’un terriblement tendre et émouvant et l’autre complètement ahurissant et je vous invite à lire le dernier chapitre avec le morceau au casque, je l’ai tenté et si vous avez aimé le roman jusque là, eh bien là, vous allez mourir de plaisir… « Live and Die »

De la magie, dès la couverture, quelle belle photo qui colle bien à l’histoire, un mec en cuir triturant sa guitare mais ce n’est pas Johnny Thunders, c’est un anonyme dans un bar, un prolo du rock, un roadie à vie, un glandeur des backstages, un mec trop camé pour voir sa triste réalité qui à 40 ans s’en imagine 20. Ce n’est pas le côté glamour du rock que l’on va connaître, ce n’est pas festif, c’est un roman noir que vous allez lire, surtout un roman noir où, bien sûr, la musique joue parfois la plus belle partition mais c’est une histoire, une vraie, sale et misérable.

Le titre bien sûr, bien trouvé, l’évocation de l’icône d’une certaine génération ayant grandi et parfois, hélas, vieilli, en écoutant l’aimable hymne ado « Born to lose ». Ce n’est pas tant la zik de Thunders qui est vénérée mais plutôt son attitude destructrice, rock n’roll, « no future » « sex, drugs and rockn’roll ». Issu en partie d’un courant qui voulait brûler les icônes (« beatlemania has bitten the dust » the Clash, London Calling) Johnny Thunders se retrouve finalement canonisé comme une prochaine génération canonisera peut-être Casablancas ou Doherty. Pour ma part, les artistes qui nous montrent leur lent suicide par la drogue ne m’émeuvent plus depuis très longtemps mais l’apparition de son nom sur une belle couverture a eu immédiatement un effet attractif incontrôlable. De toutes les manières si vous êtes déjà conquis, la lecture de la quatrième de couverture ne pourra que vous enchanter si vous êtes bien le passionné de littérature noire de grande qualité qui passe par chez nous.

« Ancien guitariste de rock, Francis revient à Barcelone, dans le quartier où il a grandi, où il a noué ses premières amitiés et surtout où il a découvert le rock. La cinquantaine bien tassée et sans le sou, il doit retourner vivre chez son père. Mais Francis a un plan en tête. Retrouver une vie normale, trouver un job qui va lui permettre de payer ses pensions alimentaires en retard, renouer avec ses enfants, rester à l’écart de la drogue… Et revoir sa petite soeur adoptive, afin qu’elle l’aide à se remettre en selle. Mais celle-ci fréquente un certain don Damiàn, le parrain du quartier, qui a la main sur tous les trafics… »

« J’ai été Johnny Thunders » est donc aussi et de façon magistrale un roman noir qui vibre au son de la basse de Kim Deal et aux hurlements de Frank Black, une bande son Pixies parfaite pour la catastrophe inévitable. Francis a cru devenir une rock star le soir où il a été membre du backing band de Johnny Thunders échoué, tel l’épave qu’il était devenu, à Barcelone. Mais la réalité a été autre et il n’est devenu une gloire que dans son quartier gris de Barcelone et s’en sont suivies de longues années de coke, d’héroïne, d’alcool, de paradis artificiels avec les désillusions oubliées dans la poudre, la réalité modifiée par la seringue…Et puis à l’approche de la cinquantaine…

« Il y a toujours un commencement.

Un jour, tu te réveilles à côté de quelqu’un dont tu te fiches totalement, tu te fourres les doigts dans le nez, ils en ressortent rouges et blancs,et c’est là que te reviennent en mémoire,tout en même temps, le nom de ta mère, celui de ton fils et le titre d’une chanson. Alors tu te dis: c’est bon,ça suffit. »

Et le retour à la vie, à la réalité que vivent quotidiennement depuis des décennies les habitants de son quartier va s’avérer terriblement humiliante pour un Francis vieilli, bouffi qui repart de zéro sans un centime, sans aura ni charisme ni histoire autre que fantasmée, sans came et avec les problèmes de la vie réelle, pension alimentaire, boulot de merde, petits délits minables mais Francis affronte la réalité, se bat pour son fils ado qu’il redécouvre à l’âge de quinze ans. Mais ses démons reparaîtront très vite et quand Francis sera bien shooté, attention les yeux, le roman va accélérer en cadence mettant l’aspect musical en sourdine pour entrer dans une zone particulièrement stressante parce que Francis, malgré toutes ses fautes, ses manquements, les saloperies qu’il a pu faire aux femmes, à ses gosses est quelqu’un de très touchant dans sa quête de rédemption. L’ intrigue criminelle existe et elle permet d’offrir des scènes particulièrement violentes, percutantes. L’ étude psychologique des personnages est magnifiquement écrite. L’écrit d’une manière générale est en parfaite adéquation avec le climat général de l’histoire, très mordant, précis, rock… provoquant de nombreux chocs émotionnels de grande envergure qui vont vous mettre dans des drôles d’état si vous captez bien certains moments magiques comme d’autres monstrueusement tristes.

L’indie rock de ces trente dernières années, une histoire très noire avec des personnages aussi fascinants que misérables, les deux s’entrecroisant pour fusionner dans un final phénoménal mais aussi un auteur qui raconte son amour de la musique, qui se révèle, se raconte à travers l’histoire de Francis, s’identifie à lui en le faisant jouer des reprises de Willy de Ville, musicien qui a été l’objet d’un de ses ouvrages inédits en France. On sent le roman d’introspection, de la maturité, des réflexions sur la solitude, l’amour, le vieillissement, des coups à l’ego, des claques dans la gueule de nos fantasmes. Un énorme roman. Noir parfait.

Merci et bravo Asphalte.

ROCK!

Wollanup

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