Traduction de Thomas Bauduret.

Joy Castro est une auteure américaine. Professeure à l’université du Nebraska, elle a beaucoup écrit  de « non-fictionnel » : ses mémoires d’enfant adoptée puis maltraitée, des essais, de la poésie. Elle a fait sa première incursion dans le polar avec « Après le déluge » paru à la SN en 2015, la première aventure de Nola Céspedes journaliste au Times Picayune. Ici, c’est le deuxième roman où on retrouve ce personnage et ceux qui, comme moi, n’ont pas lu le premier vont tout de même tout comprendre : l’auteure donne rapidement les clés du premier opus et on s’embarque sans peine dans son histoire, dans l’ambiance de la Nouvelle Orléans, théâtre une fois de plus d’événements sanglants. Et sans doute, l’envie de lire le premier sera alors très forte, non par nécessité de compréhension, mais pour le plaisir de retrouver Nola et ses premiers pas d’enquêtrice.

« Alors que la Nouvelle-Orléans s’éveille et qu’elle fait son jogging dans un parc, la journaliste du Times-Picayune Nola Céspedes se retrouve au beau milieu d’une scène de crime. Et elle connaît la victime de ce meurtre : il s’agit de Judith Taffner, son ancienne professeure de journalisme. Nola décide de mener sa propre enquête.

« Taffner s’intéressait de près à des affaires sensibles, dont celle d’un vieil homme noir abattu par la police dans des circonstances douteuses : est-ce là ce qui a provoqué sa perte? Et quel rapport avec les actes de vente de chevaux pur-sang trouvés en sa possession? Alors que les meurtres se multiplient, l’enquête de la jeune journaliste la fera remonter jusqu’à la plus haute société de Louisiane, où la notion de classe sociale est omniprésente. Dans une ville marquée par les stigmates de Katrina, la vie humaine ne vaut pas cher… »

La Nouvelle Orléans est une nouvelle fois le théâtre d’un polar avec une nouvelle voix pour décrire cette ville : Joy Castro. Une voix féminine rauque, rageuse, révoltée contre tous les préjugés, de classes, de races qui règnent sur la ville et perpétuent des inégalités criantes. On retrouve l’ambiance oppressante de violence, de corruption, de racisme, de misère et de pauvreté dans un décor somptueux, une chaleur étouffante qu’on connaît bien depuis Burke, Sallis, Gran…

Nola Céspedes, la narratrice, est issue de la minorité hispanique. Elle revient de très loin avec une enfance plus que compliquée, élevée par une mère seule, parlant peu anglais, dans une cité sordide. Violée à huit ans, elle s’en est relativement bien tirée, au moins au niveau social : boursière après le lycée elle a pu obtenir ce diplôme de journalisme. Sur le plan personnel, c’est une autre histoire : une enfance massacrée laisse des traces. Autodestructrice, instable, elle s’insère parfaitement dans la lignée des enquêteurs de polar qu’on aime tant : désespérés, tortueux sans trop d’illusions et qui n’ont pas froid aux yeux. Nola essaye pourtant d’aller bien par tous les moyens : de la vengeance à la psychothérapie…

Le personnage de Nola nous accroche rapidement tant il sonne juste et on retrouve son énergie, son refus de s’avouer vaincue, son envie de crier la vérité dans sa manière d’enquêter où elle va souvent se mettre en danger. Il faut dire qu’à la Nouvelle Orléans, ce n’est pas trop difficile de se mettre en danger : quatre ans après Katrina, les ravages de l’ouragan et le chaos qui s’en est suivi ont réveillé de vieux démons, c’est une ville hautement dangereuse et corrompue où on n’hésite pas à tuer pour étouffer des scandales. Les journalistes ne sont pas à l’abri tant que leur papier n’est pas sorti. Certains se sont relevés très vite de ce désastre, ils en ont profité même et la police n’est pas toujours très motivée pour mener des enquêtes sérieuses d’autant plus qu’elle est parfois mise en cause.

Souvent dans les polars il y a des victimes secondaires, celles qui font avancer l’enquête mais concernent des personnages peu connus ou inconnus et la plupart du temps, on retrouve leur cadavre dans une impasse ou au fond d’un bois et basta ! L’enquête continue…  Ici, Joy Castro réussit, sans s’appesantir, en quelques phrases, à évoquer l’horreur de chaque meurtre, la souffrance des proches, le vide, les vies brisées avec une empathie telle qu’elle nous étourdit un peu. La violence devient plus qu’un climat ou une ambiance, elle est bien plus réelle quand on entrevoit l’abîme de souffrance qu’elle provoque.

Joy Castro construit son roman en mêlant habilement l’histoire de son personnage, celle de la ville à une enquête palpitante et intelligente, où sans surprise, les puissants sont prêts à tout pour le rester et le font sans vergogne et sans états d’âme.

Un roman noir passionnant et intelligent, singulièrement humain.

Raccoon