Toutes sortes de canards se télescopent dès les premières pages et nous résument au passage la biographie de Michel Embareck. Il y a bien sûr les canards de papier qui nous rappellent d’emblée que Michel fut l’un des meilleurs critiques rock de ce pays avant de bifurquer vers les faits divers et la chronique judiciaire. Et puis il y a les autres, les vrais (comme l’Ouest du même nom), élégants de la plume et gras du foie, ceux de l’Hôtel Peabody en l’occurrence, connus pour être l’une des grandes attractions de Memphis, Tennessee, lorsque chaque soir ils quittent la fontaine de la réception pour rejoindre en ascenseur leurs appartements situés sur les toits de l’établissement.
On l’aura compris, c’est à un road-trip américanisé que nous convient un père, ancien flic des renseignements généraux français, et sa fille qu’il retrouve après des années de contact en pointillé. Chacun y trouvera de quoi clore un chapitre mais sans vraiment faire route commune. Avec leurs souvenirs respectifs en dommages collatéraux filigranés, ils entament un périple entre réconciliation impossible et solitudes antinomiques. L’une tait des cicatrices amoureuses toujours purulentes, l’autre transporte un mystérieux violon et plie sous le joug de migraines à répétition. Et du coup, même si cela n’a strictement rien à voir, on pense au thème d’Un funambule sur le sable, le roman de Gilles Marchand (Editions Aux Forges de Vulcain) et à son personnage affublé d’un violon dans la tête, juste pour cette conjugaison de méchantes céphalées et d’instrument à cordes sensibles embarqués de concert (c’est le cas de le dire) dans une improvisation bleue en trois accords majeurs.
Dès la sortie de Memphis, père et fille enquillent bien sûr la Route 61. Et ainsi de suite défilent toutes les crèches mythiques du blues, devenues clichés de cartes postales et spots pour touristes en goguette. On croise le fantôme de Robert Johnson pour une autre vérité vraie jurée crachée sur l’acte de naissance de la Musique du Diable, quelques relents sudistes pugnaces, des tables épicées aux couleurs locales, d’autres voix tutélaires, Lucille Bogan, Muddy Waters, Sonny Boy Williamson, John Lee Hooker… On se laisse guider en somme, au gré des étapes et des crossroads. Mais si la route file doux (« La glissade de la voiture au long des lignes droites lui semble un parfait toboggan vers l’oubli. »), comptez sur l’écriture pour faire tanguer le voyage.
« Jamais il ne comprendra pourquoi la vie prend plaisir à se maquiller en traînée pour offrir l’illusion qu’il existe un refuge à l’écart de son flot de pourriture toxique, de mensonges quotidiens dont il a été le témoin rémunéré avant d’en payer par ricochet la facture. »
Grand maître de la phrase qui vous gifle en fin de paragraphe, Michel Embareck enchaîne couplets mélancoliques (mi), refrains sucrés-salés (la) et shuffle syncopé (si) en une harmonie tonale parfaitement calée sur le rythme ternaire de toute la musique qu’il aime, elle vient de là, etc…
Un livre bien accordé, à écouter au stéthoscope.
JLM
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