Chroniques noires et partisanes

UN SILENCE BRUTAL de Ron Rash / LA NOIRE / Gallimard.

Traduction: Isabelle Reinharez.

Au milieu des années 2000, devant la méforme de la SN, Aurélien Masson, son éditeur avait décidé d’abandonner la collection La Noire, préférant limiter le nombre de sorties et se concentrer sur une seule collection, sur l’icône du polar français à sauver.

La Noire, c’était un peu le panthéon de la littérature noire ricaine: James Crumley, Cormac McCarthy, Harry Crews, Chris Offutt, Larry Brown, James Sallis… et de divines surprises comme “Envoie moi au ciel Scotty”, “Les cafards n’ont pas de roi”… le nirvana pour tout amateur de polars ricains.

Son retour cette année est initié par les deux nouvelles boss de la SN Stéfanie Delestré et Marie-Caroline Aubert et chacune y a mis sa patte pour illustrer cette renaissance, ma foi, très bienvenue. Côté français, on démarre par la réédition de “Nadine Mouque” d’Hervé Prudon décédé prématurément en 2017 dont JLM nous parlera demain avec passion et talent. Chez les Ricains, décédé également, William Gay, le maître du “southern gothic”, l’auteur du brillant “La Mort au crépuscule” renaît avec l’inédit et féroce “Stoneburner”, laissé dans un tiroir à l’époque parce que l’auteur trouvait qu’il ressemblait à “ No country for old men” et ne voulait pas faire de l’ombre à son ami McCarthy.

Mais la Noire n’est pas le caveau de la littérature noire. Et s’il est bien un auteur qui saura redonner des lettres de noblesse à la collection, c’est bien Ron Rash. Découvert par Marie-Caroline Aubert quand elle travaillait au Masque, le destin de l’Américain dans l’édition française est lié à celui de l’éditrice, allant ensuite au Seuil pour arriver chez Gallimard. Je suis sûr que le grand écrivain de Caroline du Nord est heureux d’inaugurer ce nouveau cycle français et cette collection aux côtés de son grand ami William Gay dont il m’avait abondamment parlé en des termes très élogieux, admiratifs, chaleureux, lors d’une rencontre il y a quelques années.

“Un monde est en train de s’effacer pour laisser la place à un autre. Le shérif Les, à trois semaines de la retraite, et Becky, poétesse obsédée par la protection de la nature, incarnent le premier. Chacun à sa manière va tenter de protéger Gerald, irréductible vieillard amoureux des truites, contre le représentant des nouvelles valeurs, Tucker. L’homme d’affaires, qui loue fort cher son coin de rivière à des citadins venus goûter les joies de la pêche en milieu sauvage, accuse Gerald d’avoir versé du kérosène dans l’eau, mettant ainsi son affaire en péril.”

Un nouveau roman de Ron Rash et peu importe l’éditeur est déjà en soi un petit événement, la qualité de son écriture étant maintenant universellement connue et reconnue. Les amateurs d’intrigues policières, pointues ou nerveuses savent depuis longtemps que ce n’est pas spécialement la tasse de thé de l’auteur. Comme tous les grands auteurs de Noir, Rash s’intéresse avant tout à tout ce qui vit autour de l’intrigue, l’immuable, les pierres, les gens, les vies, la campagne, la montagne, la nature et comme à son habitude “au milieu coule une rivière”.

Ron Rash sait créer des personnages, des destins, des vies qu’on n’oublie pas et qui nous interpellent par leurs réponses à l’adversité du moment ou d’une vie entière. Les, le sheriff, principal témoin de la ruralité de ce coin de Caroline et Becky, la voix de la poésie diffusée par Ron Rash sont magnifiques, grands, humainement remarquables comme leur créateur. Et on retrouve bien sûr l’amour des Appalaches, l’amour de ces montagnards, la nature décrite elle aussi avec beaucoup de tendresse et de respect. Mais Rash ne fait pas dans l’angélisme et ne cache rien de l’isolement, de la crise de l’emploi, des ravages de la meth pour les addicts bien sûr mais surtout pour les proches et les familles.

Par le passé, j’ai émis certaines réserves sur des romans de Ron Rash, celui-ci est parfait sur le fond comme sur la forme, sur le rythme comme sur la mélodie, un petit bijou noir comme “Willnot” de James Sallis avec qui il partage une grande humanité.

Précieux.

Wollanup.

Dreaming of cool rivers and tall grass, Bill Callahan.

4 Comments

  1. Ken

    L’auteur est poète jusqu’au bout des ongles.
    Pas besoin de flic pour faire un bon polar.
    C’est un roman d’une extrême beauté. Remarquable.

    • clete

      Entièrement d’accord Ken. Merci de ton passage.

  2. ken

    sublime

    • clete

      Exact!

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