Chroniques noires et partisanes

TROP LOIN DE DIEU de Kim Zupan / Gallmeister

The Butcher Saint

Traduction: François Happe

Hickney vit dans le Montana, où il sillonne les routes de campagne et ramasse les cadavres d’animaux tués par des voitures. Un travail fatigant, répétitif mais nécessaire. La vie de Hickney est rude, et le Montana en hiver l’est encore plus. Tant pis pour le froid, tant pis pour la solitude : sa vie est là. Lorsqu’un inconnu étrangement civilisé vient s’installer à proximité dans un ranch à l’abandon et qu’il rémunère Hickney pour lui rendre service, son horizon semble enfin s’éclaircir. Mais cet homme n’est pas seul, et ses compagnons semblent nettement plus inquiétants. Un jour, Hickney découvre un corps en bord de route. Cette fois, il ne s’agit pas d’un animal. Et les “invités” de son nouvel ami commencent à faire parler d’eux. 

Quasiment dix ans après la sortie de son premier roman chez Gallmeister, l’américain Kim Zupan fait son retour, toujours chez Gallmeister, avecTrop loin de Dieu. En terme de productivité, on a vu mieux, mais c’est le résultat qui compte, non ? Qu’il prenne tout le temps qu’il veut, car rares sont les livres aussi forts et maîtrisés. On attendra le temps qu’il faudra si c’est pour être ainsi régalé. Si son premier roman m’est encore inconnu, celui-ci me suffit pour pouvoir affirmer que l’on a là un grand, très grand écrivain.

Bienvenue dans le Montana. Fait-il bon vivre dans le Montana ? Apparemment, pas tellement. Le décor que plante Kim Zupan, avec ce qu’il faut de lenteur et minutie, est aussi fascinant qu’incroyablement dur. Vaste, sauvage et avec des saisons aux températures éprouvantes, la nature met ici les hommes à rude épreuve. Et notre héros Hickney, ou plus exactement anti-héros, connaît bien ces paysages qu’il parcourt constamment au volant de son vieux pick-up, cela afin de remplir la tâche pour laquelle on le paye (mal), celle de dégager les routes des cadavres d’animaux. Un job peu gratifiant, dont personne ne rêve, et qui fait une bien morne routine sur un territoire où le temps semble figé. Mais ainsi va la vie d’Hickney qui se terre dans un motel miteux. Un homme sans réelles  ambitions qui porte le poids d’un lourd passé, marqué notamment par un tragique accident dans lequel son ami Jimmy perdra ses jambes et dont il s’est donné pour mission de s’occuper, partageant ainsi un quotidien misérable fait d’alcoolisme, de misère et de solitude. 

L’équilibre de ce microcosme dépeint par Kim Zupan, fragile mais mélancoliquement tranquille, va se voir petit à petit perturbé par un groupe d’hommes, peu sympathiques et aux idéaux nauséabonds, venus dans ce « nul part » parfaitement isolé pour y répandre un insidieux poison. Approché par leur meneur pour se voir proposer un petit boulot supplémentaire – il lui suffit simplement de prendre les cadavres d’animaux les moins abîmés parmi ses trouvailles habituelles et les déposer à un endroit donné – Hickney voit là, naïvement, l’opportunité de financer un maigre rêve qui finira par virer au cauchemar. C’est progressivement que s’installe alors une tension au dénouement fatalement tragique et violent.

Trop loin de Dieu est un brillant mais douloureux roman noir sur les petites gens d’une Amérique profonde en proie à ses démons. Kim Zupan déploie toute une galerie de personnages usés, enchaînés à leur quotidien et qui semblent oubliés de tous, sur lesquels il porte néanmoins un regard plein d’humanité, dans un livre d’une grande beauté et saisissant de justesse.

Brother Jo.

1 Comment

  1. le Bison

    Magnifique voix, magnifique ambiance, sonore et littéraire.
    Ca me donne envie de sortir le premier Zupan, les Arpenteurs, dans ma PAL depuis peu…

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