Traduction: Frank Reichert.

« … La première chose qu’Emile Jadick cloqua dans l’entrebâillement de la porte du Hushed Hill Country Club était chargée et armée d’un canon double. Lui et les autres gars de l’aile étaient affublés, de manière incongrue, de chemises camouflées et de cagoules de ski, mais l’air bravache et déterminé avec lequel ils brandissaient leur arme de poing coupa aux hôtes assis devant la table de poker toute envie de persifler. – L’univers me doit un paquet de pognon, tas d’enfoirés. Je viens ramasser la collecte ! » La saga de la famille Shade, commencée dans « Sous la lumière cruelle », continue. Cette fois, René Shade affronte l’AILE, un groupe fasciste particulièrement musclé.

Dans Sous la lumière cruelle, Woodrell nous faisait découvrir St Bruno et ses dépotoirs la poêle à frire pour les Noirs et Frogtown le gourbi des Cajuns communauté d’ascendance plus ou moins française (pas de ma famille) et comme l’intrigue se situait entre les deux territoires, nous n’avions pas eu l’occasion de réellement entrer dans le cratère de la pustule Frogtown. C’est précisément la terrible initiation qui nous est proposée dans ce second opus qui, s’il n’offre pas la réelle belle surprise du premier revient sur les pas du précédent succès pour nous faire vivre une nouvelle enquête policière, complices de la vie à Frogtown, ses mœurs et coutumes mais aussi ses vices, sa corruption généralisée et organisée, ses trafics minables, sa criminalité de la misère. Pleins feux sur le trou du cul de la Louisiane avec pour guides Rene Shade et Shuggie un ancien pote devenu très peu fréquentable dans une affaire de meurtre de flic ripou et de sales petites combines d’élus de la ville et principalement du maire. C’est du très classique mais comme l’histoire est truffée d’abrutis, de grands malades, de salopards et de personnes très dangereuses, ça castagne, ça flingue, ça vole, ça tue, ça saigne, ça trahit… encore une fois du pur white trash revigorant écrit avec un ton parfois finement moqueur, joliment sarcastique par une très belle plume.

Parallèlement à la résolution de l’enquête, Woodrell offre un premier vrai beau personnage féminin avec Wanda Bone Bouvier enfant dans un corps de femme ou femme avec une âme d’enfant qui s’associe avec les dangereux tarés de l’Aile, groupuscule néo-nazi dont voici un beau portrait, parmi tant d’autres.

« Ce Dean Pugh avait besoin qu’on le garde à l’œil. Il était maigre et mauvais, élevé à la « junk food » et apparemment opposé, à en juger par ses dents dont la teinte tirait sur le vert, à la fréquentation des dentistes. Sa peau était d’une teinte jaunâtre sous ses yeux verts couleur mouche à merde, et sa cervelle devait fonctionner de façon assez saugrenue pour déchaîner à titre posthume une saine frénésie dans les rangs des chercheurs. Il tirait d’ordinaire une tête de cinglé pas banale,le genre à se couver des mygales dans le yucca, et sa personne ne présentait pas la moindre tache suspecte, la moindre souillure évoquant la normalité. »

Dans le premier épisode, les femmes étaient juste des plantes vertes, ici ce n’est déjà plus le cas et elles seront carrément à la fête dans « les ombres du passé ».

Dans ce second opus, Woodrell éclipse la fratrie de Rene pour se concentrer sur le flic et son partenaire se racontant leur enfance et leur jeunesse communes finalement ni pire ni meilleure qu’une autre et revoyant les choix effectués, les trajectoires différentes empruntées. Woodrell arrive à donner une certaine humanité à cette calamité de Frogtown et nous ouvre une clé sur le contenu de la troisième histoire avec quelques lignes où les trois frères interrogent un ami qui a rencontré leur père John X. Shade, absent depuis qu’ils sont enfants. Les bougres sont déçus par l’absence de signe de vie de leur géniteur partageant sa vie entre ses trois passions, l’alcool, le billard et les femmes à travers tout le Sud mais ils regretteront rapidement son retour dans « les ombres du passé » qui finira le cycle Shade de bien belle et ambitieuse manière.

White Trash jovial.

Wollanup.