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Traduction: Maurice-Edgar Coindreau et Hervé Belkiri-Deluen, édition révisée par Marie-Caroline Aubert
“À l’ouverture du procès de Luther Eustis, fermier quinquagénaire père de trois enfants, personne ne doute de sa culpabilité. Il reconnaît avoir garrotté Beulah Ross, fille facile qui l’a ensorcelé, puis l’avoir jetée dans le lac Jordan, lestée de blocs de ciment.”
Nous sommes dans le Mississippi, état qui compile beaucoup des turpitudes de ce qu’on appelle le Deep South. La littérature américaine de Faulkner à Flanney O’Connor en passant par Erskine Caldwell a depuis longtemps raconté avec force et talent ce monde bien souvent maudit. Shelby Foote, historien, surtout connu pour “Shiloh”, où il décrit deux jours de boucherie sur les rives du Tennessee pendant la guerre de Sécession, a lui aussi contribué à la connaissance du sud profond notamment avec son roman “Tourbillon” situé à la fin des années 40 dans le comté imaginaire de Jordan.
Ce roman, déjà publié chez Gallimard il y a de nombreuses années, trouve ici une deuxième jeunesse grâce à Marie-Caroline Aubert dont les choix sont souvent très judicieux (on oubliera juste “Les larmes du cochontruffe”). Elle l’a dépoussiéré pour le remettre à la lumière dans sa collection « La Noire ». “September September” paru dans la même collection l’an dernier pouvait se voir comme un “thriller abrasif et tragicomédie sur le thème du racisme” (Paotrosaut dans la conclusion de sa chronique pour Nyctalopes) alors que “Tourbillon” n’entretient aucun suspense sur la tragédie.
L’histoire commence par la découverte du cadavre et l’arrestation du coupable, et tout le propos ultérieur visera à expliquer les raisons d’une telle abomination, à raconter l’histoire d’une fascination et à montrer un procès où la défense tentera d’éviter au coupable de passer sur la chaise électrique, instrument de la justice très prisé dans le Mississippi.
Tout au long du roman, Shelby Foote, raconte, montre en utilisant neuf voix plus ou moins proches de l’évènement tout en se gardant, en apparence, de prendre parti. Mais il est évident que le choix des participants de la polyphonie concourt à donner vie à sa pensée. Souvent comparé à William Faulkner, Foote montre ici beaucoup de similitudes avec “Louons les grands hommes” de James Agee, reportage des années 30 sur la misère des petits blancs en Alabama. On a vraiment l’impression, dès le départ, d’être dans la recension d’une histoire vraie, racontée par un Shelby Foote témoin de l’horreur. Si certaines voix révèlent les misères sociales de la honte du rêve blanc ricain, ces “poor white trash” du Sud, d’autres se concentrent sur les détails de l’affaire. Les témoignages de Beulah la victime, d’Eustis le coupable et de Kate son épouse soumise sont extrêmement difficiles, très forts en pathos et laissent souvent un sale goût dans la bouche. Évidemment, on voit aussi que l’obscurantisme, la misère intellectuelle sont parfaitement formatés, brillamment entretenus et développés, c’est un grand classique, par la connerie de la religion, pire ennemie de l’humanité.
Œuvre majeure sur le Sud c’est certain, “Tourbillon” n’offre, en revanche, absolument pas une lecture confortable et aura sûrement le pouvoir de bien plomber vos vacances si vous vous y engagez maintenant.
Clete.
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