Traduction: Cyrielle Ayakatsikas
Sunil Yapa est un auteur américain aux origines paternelles sri lankaises qui commet son premier roman avec « Ton cœur comme un poing » et quel beau et grand roman. Dans un précédent post, je l’avais comparé au formidable « 6 jours » de Ryan Gattis. Si la filiation n’est finalement pas si évidente, ils ont en commun néanmoins une belle qualité dans l’écriture et choisissent comme théâtre une période d’émeutes urbaines américaines relativement récente : L.A. pour Gattis et Seattle pour Sunil Yapa. Si Gattis avait choisi de monter le criminalité pendant les jours sans loi de L.A., Yapa, lui, s’intéresse aux acteurs des deux bords pendant ce premier camouflet à l’ordre mondial imposé par l’argent.
« 1 999, Seattle. Plus de 50000 personnes défilent dans les rues, mues par le besoin viscéral de réclamer un monde nouveau. C’est la première manifestation qui s’affirme « altermondialiste », l’étincelle qui donnera lieu des années plus tard à Occupy Wall Street ou Nuit debout. Rapidement, les autorités sont débordées par la foule et l’opposition vire au pugilat. »
En décembre 1999, à Seattle, dans l’état de Washington, dans le pays le plus puissant du monde, au paradis du libéralisme sauvage, les élites du monde, médusées, ont vu, pour la première fois, un mouvement s’opposer à eux. Une vague de plus de 50 00 personnes, venant des USA mais aussi d’un peu partout dans le monde, est venue défier les puissants avec l’objectif de mettre à mal un sommet qui scellait les échanges commerciaux mondiaux en étranglant un petit peu plus le Tiers – Monde et en donnant le pouvoir aux multinationales et à des pourris comme Monsanto. C’est cet affrontement, prélude à l’effroyable épisode de Gênes en 2001 avec les manifestations anti G8 qui est raconté pendant 348 pages puissantes et particulièrement roboratives. On est, bien sûr, très loin des bavards de Nuit Debout. Ici, le combat se veut pacifique au départ, mis à part les casseurs inhérents à toute grande manifestation qui sous prétexte de lutte contre le capitalisme cognent sur les vitres des banques… ou veulent buter du flic, et va se terminer en pugilat.
Loin de raconter dans le détail cette bataille urbaine où les manifestants ont pour objectif de boucler la ville pour empêcher les 150 représentants des différents pays de la planète de se rendre à leur assemblée, Sunil Yapa préfère nous montrer ce jour de furie en donnant la parole à plusieurs personnages qui seront impliqués dans le grand barouf. : le major Bishop chef de la police de Seattle qui se doute que son fils qui a voyagé à travers le monde depuis trois ans sera dans le camp des révoltés, Victor, justement le fils de Bishop complètement défoncé à la weed, Julia, flic de Seattle , originaire d’Amérique centrale, King la révolutionnaire, activiste très engagée…
Ainsi , les différents points de vue permettent de vivre la journée. Commencée dans un climat déterminé mais bon enfant, elle va vite devenir le théâtre électrique événements regrettables et condamnables qui vont faire monter la pression jusqu’à l’inévitable affrontement de deux visions du monde totalement opposées. Les pressions politiques, les ordres à exécuter, l’arrivée de la garde nationale, l’obstination des « mutins » et l’affolement engendré par cette situation devenue incontrôlable vont mener à un combat très déséquilibré dès le départ.
Et le talent de Yapa se manifeste dans son écriture. Mené tambour battant, le roman ne faiblit jamais et les scènes de rue sont parfois effarantes par leur puissance d’évocation de la furie mais aussi par l’intimité avec les personnages née parfois au milieu du chaos. Plus d’une fois, on a l’impression d’être assis sur le macadam de la 6ème avenue, au contrôle des opérations des autorités de la ville ou encore à bord du pacificator du SPD et le crescendo infernal créé par l’auteur nous emporte jusqu’à la fin d’un roman qui se lit d’une traite. Certaines scènes confidentielles magnifiquement écrites sont belles à en pleurer et d’autres plus spectaculaires sont énormément chargées d’émotion, de souffrance, de peine et d’espoir.
Alors, on peut très bien penser, à tort ou à raison, que ces révoltes sont bien illusoires, bien naïves, que ces manifestations ne provoquent que des vaguelettes juste ennuyeuses pour les puissants (le decorum des accords iniques qui devaient être signés ce jour-là pour Seattle), il n’empêche que ceux qui croient encore au pouvoir du peuple, qui restent les héritiers de nos glorieux aînés qui ont conquis certaines de nos libertés d’aujourd’hui avec le sacrifice de leur sang, devraient vivre un grand moment de lecture et ceci sans manichéisme ni discours niaiseux de l’auteur, un Sunil Yapa étourdissant de talent et de justesse. Bizarrement, et c’est bien la première fois, je suis sorti de ce roman pourtant très sombre, heureux et remonté. Alors, j’aurai tenté de vous convaincre… mais un roman sociétal comme celui-ci, il y en a un tous les deux, trois ans.
« Et bien sûr, aux plus de 50 000 personnes qui ont fait en sorte que cela se produise.Un autre monde n’est pas seulement possible, il est en marche. Les jours de silence, je l’entends respirer. » ( Sunil Yapa dans les remerciements.)
Enorme, essentiel.
Wollanup.
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