Chroniques noires et partisanes

TERRA ALTA de Javier Cercas / Actes Sud.

Traduction: Aleksandar Grujicic et Karine Louesdon.

Javier cercas est un écrivain reconnu en Espagne et dont les romans sont édités en France par Actes Sud. L’auteur de “Les Soldats de Salamine” adapté au cinéma par le cinéaste David Trueba en 2003 est également traducteur et éditorialiste à la version catalane d’El Pais. “Terra Alta” est le premier volume d’une trilogie portant sur ce coin de Catalogne  isolé et déshérité dans la région de Tarragone. Au départ, il n’en avait aucunement l’intention mais son portrait d’un homme avide de justice a fait que Cercas a fait, involontairement, sa première incursion dans le polar. En Espagne, le roman a obtenu le prestigieux et bien doté prix Planeta en 2019.

“Sur des terres catalanes qui portent encore les stigmates de la bataille de l’Èbre, Terra Alta est secouée par un affreux fait divers : on a retrouvé, sans vie et déchiquetés, les corps des époux Adell, riches nonagénaires qui emploient la plupart des habitants du coin. La petite commune abrite sans le savoir un policier qui s’est montré héroïque lors des attentats islamistes de Barcelone et Cambrils, et c’est lui, Melchor, qui va diriger l’enquête. Laquelle promet d’être ardue, sans traces d’effraction, sans indices probants. Or l’énigme première – qui est l’assassin ? – va se doubler d’une question plus profonde : qui est le policier ?

Car avant d’être un mari et père comblé, coulant des jours heureux dans cette paisible bourgade, le policier converti en justicier obsessionnel fut un ancien repris de justice, élevé par une prostituée dans les bas-fonds de Barcelone. Alors qu’il se pensait perdu par la rage et par la haine du monde, la lecture fortuite des Misérables de Victor Hugo est venue exorciser ses démons et bouleverser son destin.”

Jean Valjean comme modèle pour Melchor bien sûr mais très vite, c’est Javert et son sens de la justice maladif, son respect scrupuleux de la loi, sa propension à harceler qui vont marquer et mettre en marche un Melchor démoli par la vie. Les habitués de Cercas seront en terrain connu avec la continuité des thèmes majeurs de son œuvre: la justice, la vengeance, le pardon, la guerre d’Espagne. On retrouve tout cela au service d’un roman noir et le résultat est très emballant.

Le décor choisi, haut lieu de la bataille de l’Elbe pendant la guerre civile, laisse à penser d’emblée que le meurtre de ces deux nonagénaires, principaux employeurs de la population de la comarque, leur massacre méthodique est le résultat d’une haine personnelle qu’on imagine prendre naissance dans cette période de désolation de la fin des années 30. 

Néanmoins, l’enquête va d’abord fouiller dans l’entourage des suppliciés, dans une société qui est auscultée avec beaucoup de patience et d’intelligence. Dès le départ, on est pris et Cercas ne nous lâchera qu’à la dernière page… pour nous donner rendez-vous prochainement pour une suite. En effet, si plusieurs chapitres sont consacrés à la vie du héros, Melchor, flic atypique et certainement en fait très dangereux, tous les secrets de l’homme, ses hantises, ses regrets, ses convictions, ses plaies ne sont pas encore tous visibles malgré un portrait à la psychologie très profonde. Melchor n’a pas encore révélé tous les aspects de sa personnalité complexe et la douleur extrême qu’il vivra en fin d’enquête par son obstination à rechercher la justice n’aidera pas à apaiser cet homme déjà bien meurtri. 

On a parfois un peu peur quand des écrivains reconnus quittent leur zone de confort pour s’aventurer dans le polar. Parfois tout bon mais aussi parfois très con. Ici, c’est impeccable, riche, passionnant, franchement bien écrit et assurément ouvert à un lectorat très diversifié.

Clete

2 Comments

  1. le Bison

    Découvert avec les Soldats de Salamine, l’écriture de Javier Cercas ne me laisse pas indifférent. Bien au contraire, j’ai surtout adoré A la vitesse de la lumière (peut-être aussi parce que c’est plus un roman américain qu’espagnol). Toujours est-il que je suis bien tenté par cette Terra Alta…

    • clete

      C’est une bonne idée mon cher bison. L’écriture de Cercas ne m’a pas laissé non plus indifférent. Par contre, c’est une histoire purement espagnole ou catalane pour ne brusquer personne.

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