« Jean-Noël Levavasseur est grand, beau, doué, jeune et sympathique. C’est énervant » brocarde fraternellement Jean-Bernard Pouy en préface de ce nouveau Port de l’angoisse, version normande et vénéneuse. Et c’est vrai que le garçon présente bien, autant physiquement que biographiquement. Journaliste à Ouest-France, auteur de quatre romans et d’une multitude de nouvelles, éditeur, directeur d’ouvrages collectifs : il porte tous ces costards avec le même tact et la même élégance décontractée, anglaise dirons-nous. Pourtant, c’est d’en face, de son Calvados natal qu’il observe un monde bien moins zen que lui.
L’œil du journaliste et l’œil de l’écrivain conjuguent depuis toujours leurs acuités pour équilibrer des histoires entre actualité grise et maux éternels. Et si Lauren Bacall (certes citée à la page 178) et Humphrey Bogart s’absentent du casting, il faut néanmoins reconnaître quelques petites similitudes entre le To Have And Have Not (titre français En avoir ou pas) d’Ernest Hemingway, roman adapté au cinéma en 1944 par Howard Hawks, en ce précité Port de l’angoisse donc, et le présent Terminal mortuaire en Bessin. Bien entendu, ce ne sont plus des clandestins chinois qui traversent ici les flots caribéens, mais des migrants, en quête d’un miroir aux alouettes britannique, délaissés au bord d’une Manche perdue d’avance.
Le (anti) héro du livre, Martin Mesnil, se retrouve les deux pieds dans cette vase déshéritée après avoir accepté un job en intérim « sur les quais » (Ah, Elia Kazan et Marlon Brando, là) d’Ouistreham. Mafieux, trafiquants, opportunistes et passeurs rodent, Viktor morfle, Azem crie vengeance… La violence des extrémismes glauques frappe à l’aveuglette et la Côte de Nacre en perd ses irisations éponymes. En un mot, c’est la jungle ou plutôt les jungles : celle qui qualifie ces insalubres camps de passage pour candidats à la traversée ou celle qu’impose les dérives sécuritaires abjectes des défenseurs d’un Occident nauséeux. Incompatibilité, incompréhension, haine, peur, le cocktail est classiquement détonnant. Entre nervis slaves au passé trouble et réfugiés sans amarres, Jean-Noël Levavasseur fait de constats amers la toile aboutie et sobre d’un drame quotidien et trop souvent négligé.
À noter que Terminal mortuaire est l’une des premières parutions de la nouvelle collection de romans noirs, sur trames de terres normandes donc, mais aussi vendéennes ou bretonnes bien sûr, des éditions Ouest-France.
JLM
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