11 septembre 2001, 21 juillet 1969, quand on a vécu ces dates, on se souvient exactement de ce que l’on faisait ce jour-là et avec qui on était.

12 juillet 1998, même si ce n’était pas un petit pas pour l’homme et encore moins pour l’humanité, même si cela n’a pas flingué la skyline de NY, même si c’était juste un événement français avant tout et même si ce n’était que du foot, 22 mecs en train de se disputer une sphère en cuir au nom de la “patrie”, quelle fête ce fut! On a vécu la même chose l’an dernier mais ce n’était pas en France d’une part et d’autre part Benalla a vite éteint les lampions et calmé les pétards. En 1998, pour la première fois, tu peux le croire ça? la France devenait championne du monde de football, au cœur de l’été, deux jours avant la fête nationale en mettant une grosse claque aux meilleurs footballeurs du monde, deux grands coups de boule de Zidane (une spécialité du meilleur joueur du monde qui sera moins probante 8 ans plus tard) et une chevauchée fantastique de Petit pour parachever la mise à mort des Brésiliens… des gamins, des adultes en train de chialer de bonheur devant leur poste, le visage peint, les cheveux teints en blond. La France chavire, “blacks, blancs, beurs”, on est tous Français tout d’un coup, pas pour longtemps, juste un coup de médias, une aubaine pour Chirac.

Ce premier roman de Youssef Abbas, qui avait quinze ans à l’époque ,commence à 17H30 le 12 juillet et se termine un peu avant 23 heures au moment de l’explosion de joie, des millions de fous furieux ivres de bonheur, du même bonheur, au même moment… mais si le match sert de toile de fond, on retrouve d’ailleurs certains commentaires devenus légendaires de Thierry Rolland et Jean Michel Larqué qui commentaient le match ce soir-là, l’histoire se situe bien ailleurs. Pendant que la France et une partie du monde suit le match, s’enflamme, d’autres vivent autre chose, des événements plus tristes voire dramatiques pendant ce fil conducteur de deux heures. 

Dans une ville anonyme du Centre, dans une vieille HLM comme les chantait Renaud, Youssef Abbas va nous conter la soirée de trois résidents. Hakim, le petit beur vient d’avoir son bac et rêve de fac et surtout de liberté loin de sa cité. Ce 12 juillet, “Pour la première fois de sa vie, il se sentait français”, la première partie lui est consacrée et le ton donne à penser que le roman va jouer la carte de la comédie tant Hakim est déjà dans le match, trois heures avant le début comme tout passionné de ces grands rendez-vous cathodiques. Il part en vrille et en ville pour suivre le match avec Yannick, son ami, son frère, son voisin et compagnon d’infortune de cité oubliée, excentrée, lui même cinglé de foot mais également amoureux de Marianne, chez qui ils vont taper l’incruste, se retrouvant, hélas, au milieu des amis de la belle, la bourgeoisie locale. 

Le ton change dans cette partie dévolue à l’histoire de Yannick, le propos va s’avérer rapidement plus mélancolique, Yannick comprenant que Karim et lui ne sont pas tout à fait à leur place au milieu des jeunes bien propres sur eux, aux pulls posés avec recherche sur les épaules. Étonnamment et très intelligemment, le roman fait connaître un ascenseur émotionnel infernal exactement à l’opposé du déroulement du match. La France gagne, les deux garçons perdent. A la liesse générale s’oppose leur mélancolie, leur malaise grandissant, sans grande gravité pour Hakim, beaucoup plus désolant pour Yannick. Mais ce n’est que le début, on va aller beaucoup plus loin dans le scénario de fête raté, dans la glaciation d’une soirée brûlante.

Guy, proche de la trentaine vit lui aussi dans le même bâtiment, il suit le match le son coupé en écoutant Brahms et en revivant son enfance, sa jeunesse, ses erreurs, ses regrets, vomissant celui qu’il est devenu, sa lâcheté, sa vie de merde. Les trois vont se rencontrer au coup de sifflet final.

“Bleu blanc Brahms” est un très, très bon roman à lire d’une traite, poignant, éprouvant, d’une noirceur et d’une intelligence comme on les aime chez Nyctalopes. Youssef Abbas, un nom à retenir et un roman parfait pour lancer la saison.

Wollanup.