Chroniques noires et partisanes

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L’ESCADRON NOIR. Une Iliade au Kansas de W. R. Burnett / L’Ouest, le vrai/Actes Sud

The Dark Command. A Kansas Iliad

Traduction : Fabienne Duvigneau

La disparition de Bertrand Tavernier le 25 mars 2021 semblait annoncer la fin de la collection L’ouest, le vrai chez Actes Sud. Il en était le directeur passionné, apôtre de la réhabilitation du western littéraire. C’est donc une joie de découvrir que Bertrand Tavernier a eu le temps de transmettre le flambeau. Thierry Frémaux, directeur de l’Institut Lumière de Lyon, cadre ainsi la publication de ce texte inédit de William Riley Burnett (auteur phare de la collection L’Ouest, chroniqué déjà par Nyctalopes) en rédigeant la postface de L’escadron noir.

Grâce à son oncle, le jeune Johnny Seton va pouvoir entrer dans le cabinet de l’influent avocat Jim Wade. A la clé une situation, et la respectabilité aux yeux des McCloud, dont il convoite la fille, Mary. Mais c’est sans compter sur Polk Cantrell. Redouté dans plus de six comtés, l’homme, qui se cache des Missouriens depuis qu’il a tiré sur un shérif pro-esclavagiste, est venu se réfugier à Pleasant Hill, Ohio. Le cœur de Mary ne tarde pas à balancer, déclenchant l’engrenage d’un duel sans merci.

Que ceux qui ont déjà regardé le western de Walsh (avec John Wayne, Claire Trevor, Walter Pidgeon et Roy Rogers) ne s’attendent pas à retrouver une histoire semblable dans le roman de Burnett. Le scénario a pris beaucoup de liberté par rapport à son socle d’origine. Pour un résultat mitigé car le film ne figure pas au firmament de l’œuvre de Walsh. Mais le scénario n’est pas seul en cause.

Quand Burnett écrit L’escadron noir en 1938, il est en pleine maîtrise de son style, une prose sèche et pourtant généreuse en informations, qu’il a exercé dans le genre policier. Car Burnett est avant tout un romancier de la pègre et des trafics, expert des personnages à plusieurs facettes. C’est ce que nous découvrons avec John Seton, Mary et Polk Cantrell, engagés très vite dans un classique triangle amoureux dans une tranquille ville de l’Ohio du milieu du XIXe siècle. Le premier est un peu naïf, la deuxième versatile, le troisième dégage une aura trouble. La fille de bonne famille se fait la belle avec le bad boy et John Seton a un gros chagrin d’amour. On pourrait résumer ainsi le premier quart du roman et se dire qu’on attendait autre chose qu’une western romance.

Mais Burnett a planté les graines d’un drame sanglant en rattachant son roman aux troubles années 1850. La question esclavagiste divise en effet l’Amérique jusque dans son expansion vers l’ouest. Les nouveaux territoires (Kansas, Nebraska) doivent-ils se rapprocher des législations sudistes ou les rejeter ? Sur le terrain, pros et antis se disputent, se battent, s’assassinent. Les organisation ou milices Red Legs, Jayhawkers, Bushwackers lancent des raids contre leurs adversaires, brûlent leurs propriétés, pendent ou flinguent à tout va. C’est une véritable guerre civile. Le célèbre John Brown lui-même y participe. Elle perdurera dans la région pendant le conflit officiel de la Guerre de Sécession et explosera en massacres de sinistre mémoire. Pour Burnett, il n’y a pas matière à philosopher. Cet arrière-fond historique apporte une dynamique à son récit très local, influence ses personnages et, bien sûr, alimente le caractère dramatique des événements vécus à hauteur d’homme.

N’ayant pas renoncé à Mary, John Seton s’installe dans le Kansas, dans la même ville que les nouveaux mariés. L’affrontement avec Polk Cantrell est inévitable. Il s’aggrave du désaveu électoral qui est infligé à l’ambitieux Cantrell. Vexé, celui-ci rallie les Bushwackers pour se venger de la communauté dont Seton devient un membre honorable. Tandis qu’il essaie de séduire Mary, toujours sceptique sur son caractère, Seton s’étoffe physiquement et moralement dans sa nouvelle vie. Il paraît toujours un cran au-dessous de son rival, retors et rancunier, pistolero sans scrupules. Dans le grand final d’une chevauchée sanglante, emblématique des troubles de cette époque, leur rivalité devra se régler une fois pour toute. Pour le vainqueur, peut-être, une Mary séduite.

Un western aux approches sentimentales et psychologiques (avec un héros un peu barbant) qui libère finalement l’intensité et la brutalité de son genre.

Paotrsaout

LUNE PALE de W.R. Burnett / Actes Sud.

Traduction: Doris Febvre.

Les westerns de William Riley Burnett (1899-1982) ont été parmi les premiers à construire la collection « L’Ouest, le vrai », sous la direction de Bertrand Tavernier : Terreur apache (2013), Mi Amigo (2015) et Saint Johnson (2015). Lune pâle, jamais adapté au cinéma, une première fois traduit en français en 1958, s’inscrit au milieu d’une trilogie dite « apache », ouverte avec Terreur Apache et fermée par Mi Amigo, qui prend pour cadre géographique et historique l’Arizona de la toute fin du XIXe siècle, secoué par les soubresauts d’une dernière révolte indienne mais aussi les transformations sociales et politiques d’une région anciennement hispanique et métissée sous la pression d’une absorption anglo-saxonne.

Vers 1890 donc, près de la frontière mexicaine, le Far West sauvage se transforme peu à peu en une société plus stable. Dans la petite ville de San Miguel règne une famille puissante aux origines mêlées – mexicaines, indiennes, américaines -, avec à sa tête le redoutable Jake Starr. Son féodalisme autoritaire mais bienveillant lui permet encore d’asseoir son pouvoir sur une cité et une région qui lui doit beaucoup car il l’a modelée. Pourtant, les changements sont en cours. De nouveaux résidents, venus de l’Est, modifient chaque jour la physionomie et l’esprit de la petite ville. En chemin vers San Miguel, le vieux Crip Diels, qui n’y est pas retourné depuis quelques années, apporte de l’aide à Doan Packer, un Américain solitaire et mal en point. Doan Parker est d’une taille remarquable, son charisme est certain. Il traîne les blessures d’un passé trouble. Il vivote en fait sur la Frontière depuis plusieurs années. Issu d’une famille de notables du Sud des Etats-Unis, une aventure électorale à laquelle il a participé s’est soldée dans le sang. Il est, depuis, poursuivi et dissimule sa véritable identité. Quand il arrive à San Miguel, Doan Parker s’éprend rapidement d’Opal, la fille de Jake Starr, belle et inquiétante à la fois, la seule sur laquelle l’autorité de Jake n’a pas prise. Malgré l’expérience, aveuglé par ses sentiments, Doan Parker va se retrouver pris dans les rêts d’Opal et de la famille Starr. Les élections approchent. Les anciens et les progressistes sont prêts à s’affronter et, pour certains des Starr, tous les coups sont permis.

Les lecteurs déjà familiers du style de Burnett retrouvent ici son économie de plume. Nous sommes en effet bien loin de tout lyrisme. Il suffit à Burnett de peu de détails pour dessiner un paysage ou poser une scène et ses acteurs. C’est par le dialogue, la structure et l’action que nous suivons l’intrigue. Encore une fois, chez Burnett, il n’y a pas de frontière nette et facile entre les bons et les méchants. Ses personnages évoluent dans une moralité crépusculaire, les brutes et les criminels peuvent faire preuve de certaines vertus, les protecteurs et les justes peuvent faillir. Ainsi Doan Packer, héros atypique, endurci en apparence par sa vie dans l’Ouest, peu enclin à utiliser la violence ou alors comme dernier recours. Il vient d’une famille éduquée pourtant et a goûté à l’amertume du jeu politique. Il sera piégé par le clan Starr, Opal en premier lieu, et refusera presque jusqu’au bout une réalité pressentie. Il n’échappe pas à son passé et ses contradictions. Il y a encore Charley Leach, bras droit de Jake Starr au passé brutal. Qui n’a pas plus besoin de se promener en armes, le pouvoir de Starr le met à l’abri. Il accepte tout, la trahison et l’assassinat de son maître, les manœuvres d’Opal, de ses cousins Bud et Chuck, dangereux de méchanceté et de vice, il accepte tout sauf un jour d’aller plus loin. Sa reddition est la chute de tout un système familial.

Un des intérêts de ces westerns « classiques » réside dans leur éclairage historique. Lune Pâle nous amène dans un jeune Etat américain, l’Arizona. Il n’existe alors que depuis une trentaine d’années. Incorporée dans l’empire espagnol aux Amériques, la région a suivi le Mexique dans son indépendance de 1821. Défait par les Etats-Unis en 1848, le Mexique a cédé de vastes territoires sur ses frontières septentrionales. Dans Lune Pâle, nous voyons bien l’héritage humain, un melting-pot de populations indiennes, hispaniques, métissées entre elles parfois, européennes désormais. Les années de guerres et de raids se sont achevées mais leurs souvenirs restent présents et les tensions raciales sous-jacentes, la couleur d’une peau décide encore d’un statut social ou d’un destin. La famille Starr elle-même est striée par un lignage douloureux.

Lune Pâle aborde également le thème de la politique, l’émergence du système démocratique américain sur le terrain de la Frontière. Là s’opposent des traditionalistes, adeptes d’un clientélisme qui protège d’une certaine manière des minorités, et les réformateurs qui veulent bousculer l’ordre établi et ouvrir le pays aux progrès économiques venus de l’Est. Peut-être parce que les hommes qui joutent sur ce terrain sont eux-mêmes des personnages meurtris, dévorés de passion et d’énergie, marqués par leur expérience, le combat est sans merci. Même si le roman est jalonné d’épisodes électoraux, de procédures, de procès, qui offrent autant de rebondissements, la violence n’est pas en reste.

Sans être le roman le plus impressionnant ou le plus séduisant de la collection à mes yeux, il s’agit, au final, d’un western aux incontestables qualités narratives, marqué – par porosité sans doute – par l’écriture de crime novels et de scénarios qui a fait la carrière de son auteur.

Paotrsaout

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