A different drummer

Traduction: Lisa Rosebaum.

“Personne ne prétend que cette histoire est entièrement vraie. Ça a dû commencer comme ça, mais quelqu’un, ou des tas de gens, ont dû penser qu’ils pouvaient améliorer la vérité, et ils l’ont fait. Et c’est une bien meilleure histoire parce qu’elle est faite à moitié de mensonges. Il n’y a pas de bonnes histoires sans quelques mensonges. » William Melvin Kelley.

 Et puis parfois quelques lignes parcourues distraitement vous accrochent immédiatement, vous attrapent, vous emportent pour ne vous lâcher qu’au bout de la nuit, béat,secoué aussi mais avec surtout le sentiment que vous avez lu un roman exceptionnel, un bouquin que vous n’êtes pas prêt d’oublier. Et “l’autre tambour” est de cette race de romans inoubliables que tout lecteur affamé cherche et ne trouve que trop rarement.

William Melvin Kelley, originaire du Bronx, fraîchement diplomé de Harvard a 23 ans quand sort son premier roman en 1962. Aussitôt encensé, il est de suite comparé à Faulkner pour la vision du Sud des”petits blancs” (parlait-on de rednecks à l’époque?) et à James Baldwin auteur afro-américain comme lui. Outre l’exceptionnelle maturité de ce premier roman d’un tout jeune homme, le caractère engagé ouvrant sur une réflexion pointue et individuelle sur le racisme restant toujours d’actualité et sous bien d’autres latitudes que l’Alabama, la Georgie, le Mississippi ou la Louisiane, soulignons une plume magique tantôt épique tantôt grave, parfois tendre, offrant une histoire magique à la construction sans faille.

En juin 57, dans un état imaginaire du Sud des USA, à Sutton un bled perdu d’une région abandonnée, Tucker Caliban, jeune fermier noir, sous le regard ébahi des glandeurs moralisateurs habituels du village, détruit ses cultures en balançant du sel dans son champ. Puis, il abat sa vache et son cheval, détruit le seul arbre de sa propriété, casse des meubles à la hache, puis disparaît dans la nuit avec sa femme après avoir incendié sa ferme. Coup de folie, le sang de son ancêtre esclave insoumis qui parle, chacun y  va de son explication puis retourne picoler avant de rentrer honorer sa bourgeoise.

Seulement le lendemain matin, à l’arrêt du car, face à l’épicerie où se regroupent dès très tôt le matin les “philosophes” alcoolisés, se presse une foule de noirs avec famille et valises, attendant d’embarquer pour quitter Sutton. Après la surprise, c’est la stupéfaction car cette journée est la première d’un exode total de toute la population noire, quittant l’état vers un ailleurs meilleur ou tout au moins moins pire. Que s’est-il passé ? Que se passe-t-il ?

Roman choral, magnifiquement monté, “l’autre tambour”, superbe fable, est raconté par des voix blanches: les abrutis congénitaux de l’épicerie mais aussi des membres de la famille Willson dont dépendait les aïeuls de Tucker en tant qu’ esclaves tout d’abord puis comme employés. La part important donnée à des personnages enfants donne beaucoup d’émotion au texte tout en ouvrant une réflexion pour les générations à venir. Ouvrir les yeux à des individus en construction, les alerter sur le fait que certaines habitudes ancestrales semblant bien anodines ne sont que le résultat d’une éducation faite par et pour une certaine partie de la population blanche bien évidemment et sont tout simplement et connement racistes.

La fin du roman est choquante, crève-coeur mais l’histoire de Tucker Caliban, vomissant les organisations politiques noires et la religion pour se lever un jour en homme libre, est belle, immanquable.

Chef d’oeuvre.

Wollanup.