Chroniques noires et partisanes

Étiquette : william bayer

LA PHOTOGRAPHIE DE LUCERNE de William Bayer chez Rivages

Traduction : Pierre Bondil.

William Bayer est un des grands auteurs américains dont j’attends les livres avec impatience. Ses romans sont toujours fascinants, mêlant une enquête passionnante à une grande érudition sur des sujets variés. Passionné d’art et de psychanalyse, il a été fasciné par le personnage de Lou Andréas-Salomé il y a plusieurs années déjà. Il voulait l’insérer dans un de ses romans sans écrire un roman historique et c’est par le biais d’une photo qu’il a eu l’inspiration de ce livre.

                « Tess Berenson, jeune artiste performeuse, emménage dans un vaste loft à Oakland en Californie. La locataire précédente, Chantal Desforges, y a laissé des traces singulières : une croix de Saint André ainsi qu’une sorte de cellule fermée par une grille. C’était une dominatrice qui recevait une clientèle de haut vol. Fascinée par cet univers, Tess envisage d’en tirer une performance. Mais lorsque le cadavre de Chantal Desforges est retrouvé dans le port, Tess se transforme en enquêtrice. Elle ne soupçonne certainement pas que le labyrinthe où elle se perd la conduira à une photographie prise au XIXe siècle : la « Photographie de Lucerne » sur laquelle on voit Lou Andréas-Salomé qui semble fouetter Friedrich Nietzsche… »

Cette photo est l’origine du roman, mais aussi l’origine de l’intrigue, première mise en abyme d’une longue série dans ce livre brillant où William Bayer mêle plusieurs histoires qui se croisent, se répondent et se rejoignent finalement avec un immense talent. L’enquête de Tess va la mener loin dans l’Histoire, certains événements passés depuis plus d’un siècle n’en finissent pas de résonner encore aujourd’hui et William Bayer, maître du suspense, nous tient en haleine jusqu’au bout.

Il insère à son histoire des personnages réels, notamment Lou Andréas-Salomé à Vienne en 1913 et Freud avec qui elle étudie pour devenir psychanalyste à cette époque. Pour ma part, je ne la connaissais pas, mais le livre m’a donné envie d’en savoir plus sur elle, intellectuelle brillante, écrivaine, femme libre qui ne s’est pas laissée éclipser par les hommes autour d’elle. On comprend la fascination de William Bayer qui fournit en fin d’ouvrage une bibliographie pour en savoir plus sur elle. Si elle devient personnage de roman, William Bayer a veillé à être crédible et à respecter sa vie tant sur la chronologie que sur sa personnalité. Une fois ceci posé, c’est un personnage à part entière et un très beau ! William Bayer lui consacre une bonne part de son récit, il l’embarque allègrement dans son histoire avec une rencontre peu probable. Il n’hésite pas non plus à imaginer une correspondance entre elle et Freud, jouant de sa liberté d’écrivain.

Il construit son roman en alternant les chapitres historiques et les chapitres contemporains. Tess est la narratrice dans les parties contemporaines, elle s’improvise enquêtrice d’abord pour comprendre cette femme assassinée qu’elle a à peine connue mais qui l’intrigue : une dominatrice qui se considérait comme une thérapeute. C’est une véritable enquête policière qu’elle mène, en collaboration avec l’inspecteur chargé de l’enquête et les découvertes qu’elle fait vont peu à peu faire écho à sa propre vie et l’entraîner dans la création d’une pièce de théâtre.

Puis il y a la troisième histoire, celle d’un mystérieux major allemand Ernst Fleckstein, un personnage énigmatique et inquiétant dont les mémoires commencent dans l’Allemagne hitlérienne des années 30. William Bayer entremêle ces trois destins de main de maître, sans jamais perdre le lecteur. Les interactions entre ces personnages, leur vie et cette fameuse photo qui refait surface à différentes époques et provoque des réactions en cascade sont dévoilées progressivement et tout se tient, l’enquête policière, les personnages qui sont magnifiques, leurs liens et leurs ressorts psychologiques : un véritable travail d’orfèvre !

Brillantissime !

Raccoon.

 

TRAME DE SANG de William Bayer chez Rivages / thriller

Traduction : Pierre Bondil

William Bayer est un grand auteur de polars et de thrillers, il a d’ailleurs obtenu plusieurs prix dont le prix Edgar Allan Poe pour Pèlerin en 1982 et le prix Mystère de la critique en 1986 et en 2005 pour Le rêve des chevaux brisés. Il arrive toujours à nous tenir en haleine tout en mêlant à une enquête passionnante où il décortique la psychologie de ses personnages, des éléments d’érudition sur des sujets variés parfois originaux : le tango (La ville des couteaux), les tarots (Tarot), la fauconnerie (Pèlerin)…

Il va mettre ici tout son talent au service d’un genre littéraire très anglo-saxon : la prep school story, roman initiatique se déroulant dans un de ces lycées/internats privés tellement importants dans ces pays. Ces écoles exercent une fascination bien moindre chez nous, tellement fiers de notre école laïque et publique. Mais apparemment elles représentent une expérience inoubliable pour ceux qui l’ont vécue (avec traumatisme parfois)  et l’auteur parle de l’atmosphère particulière qui y règne « l’effet de serre » exacerbant tous les conflits. William Bayer aime ce genre littéraire, il cite Tobias Wolff, Irving et bien sûr Salinger. Dans une petite interview post roman, il précise qu’il a eu envie d’écrire sur le passage à l’âge adulte dans un pensionnat de la Nouvelle Angleterre au moment d’une cérémonie pour le cinquantième anniversaire de la fin de ses études dans son ancien pensionnat : Phillips Exeter, il parle donc de ce qu’il connaît !

« Joel Barley, jeune artiste prometteur, tombe amoureux de Liv Anders, danseuse et tisserande. « Ce qui ne peut être dit doit être dansé. Ce qui ne peut être dansé doit être tissé. Et ce qui ne peut être tissé doit être imprimé dans la chair » : l’étrange mantra de Liv intrigue Joel ; de même lorsqu’elle affirme « dissimuler sa douleur dans ses tissages ». Lorsque Liv est tuée, il apparaît qu’elle avait bien dissimulé quelque chose dans l’une de ses compositions abstraites, et Joel, aidé de ses deux amis Justin et Kate, veut découvrir quoi. »

Bon, j’avoue ! J’ai eu un peu de mal à m’intéresser aux problèmes de ces gosses de riches surdoués… Mais c’était sans compter sur le talent de Bayer qui parvient à nous entraîner dans cette intrigue originale : il n’y a pas de flic ici, ce sont ses amis qui n’arrivent pas à accepter le suicide de Liv qui enquêtent. Dans ce roman initiatique, il nous fait revivre avec justesse ces moments, ces premières fois où on est confronté à la noirceur du monde, au pouvoir qui corrompt, à la passion… Il développe aussi sa conception de l’art ( Delamere est une école inventée qui met en avant les matières artistiques) et ce qu’il implique dans la vie des gens.

Comme à son habitude, son livre est très documenté, il a fait une recherche approfondie sur la vie scolaire dans ce genre d’établissement. Il a collaboré également avec une tisseuse japonaise, Naomi Kobayashi pour vérifier si la manière dont Liv transmettait son message était plausible ! C’est d’ailleurs une des œuvres de cette artiste qui illustre l’édition américaine.

Il y a beaucoup de sous-intrigues dans ce roman : suicide, harcèlement, sex-club d’élèves, arrestation d’un prof… il s’en passe des choses graves dans cette école ! Bayer y condense dans le lieu et le temps des scandales réels dans de telles écoles WASP, mais tout se tient finalement !

Un Bayer atypique quant à la teneur de l’enquête, mais Bayer n’a pas besoin d’un tueur en série pour orchestrer le mystère et le suspense psychologique.

Raccoon

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